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REMARQUES…

… A PROPOS DE LA QUESTION DE L’ETAT AU PROCHE-ORIENT ET DE SES REPERCUSSIONS SUR LE TERRORISME EN EUROPE

par Tarik ben Hallâj

 

[Pour télécharger en format PDF : Remarques à propos de la question de l’Etat au Proche-Orient]

 

Depuis la Première Guerre mondiale, tous les Etats du Proche-Orient ont été arbitrairement mis en place par les puissances coloniales (Grande-Bretagne et France, essentiellement), les accords Sykes-Picot créant artificiellement en 1916 des territoires « nationaux » là où il n’existait ni nation, ni histoire nationale. Dans de tels territoires, le nouvel Etat ne tenait forcément que par pure contrainte. Les coups d’Etat militaires se sont inévitablement succédé, le régime dictatorial étant la seule forme possible d’Etat « national » reflétant fidèlement le caractère artificiel et exogène de ce dernier : le dictateur est ce qui reste du colonisateur, une fois que celui-ci est parti. Pendant trois ans, de 1958 à 1961, une République arabe unie regroupant l’Egypte et la Syrie vint par exemple apporter la preuve de l’inanité des supposées frontières, rapidement suivie, en 1970, par le retour d’une dictature « nationale » en Egypte et en Syrie, militaire dans un cas et dynastique dans l’autre (celle des el-Assad) ; quant au « royaume d’Irak », créé par les Britanniques, il fut renversé en 1958 par une dictature militaire, prétendument « socialiste » et temporairement soutenue par Moscou. Le parti Baas installé au pouvoir passa son temps à se déchirer en rivalités internes, d’où émergera finalement, comme une sorte de soubresaut final, le personnage de Saddam Hussein. Dans le cas d’el-Assad comme dans celui de Saddam, le dictateur trop imbu de ses pouvoirs finit par déplaire aux architectes initiaux de sa « nation », les puissances occidentales.

L’action des Occidentaux a toujours consisté à tenter de mettre et de conserver au pouvoir celui dont ils escomptaient la plus grande complaisance possible avec leurs propres intérêts économiques et géostratégiques. Cette préoccupation n’a bien sûr rien en commun avec la recherche d’un régime qui serait plus respectueux des besoins de la population : on ne voit pas par quel miracle un « humanisme » qui n’est déjà jamais pris en compte chez soi serait tout d’un coup promu au rang de principe directeur dans d’autres pays, a fortiori « émergents » (de façon plus réaliste : dans une ancienne colonie, devenue néo-colonie). La forme nationale leur apparaissait simplement comme une réplique locale incontournable de leurs propres pays, comme une étape nécessaire dans le progrès vers « la civilisation » (c.à.d. vers leur image en miroir) ; et, aspect non négligeable, comme l’installation d’un concierge de l’immeuble, suffisamment corrompu pour accéder à presque toutes leurs demandes et laissé tout-puissant seulement pour les basses besognes. De plus, l’opinion publique occidentale, dûment briefée par la propagande officielle, restait persuadée que la forme dictatoriale est la seule capable de gouverner une population arabe, par nature anarchique, querelleuse et indisciplinée. A aucun moment elle ne comprenait que la forme nationale, de par son histoire, est tout simplement étrangère à ces populations, à leur histoire, à leurs aspirations, à leurs possibilités1. Et quel que soit le bien-fondé des préjugés occidentaux à l’encontre de ces populations « anarchiques », il en ressort que la seule forme politique susceptible de leur convenir n’est précisément pas l’Etat centralisé, mais une forme d’autogouvernement fédératif, respectueux des regroupements locaux.

Les récentes invasions militaires par les Etats-Unis, directes ou indirectes, dynamitant les régimes en place, réduisant à l’état de guerre civile ininterrompue l’Afghanistan, l’Irak, la Lybie et la Syrie (ceci expliquant le vocable de « croisés » systématiquement appliqué aux Occidentaux par les islamistes) ont paradoxalement anéanti le fantasme occidental, celui d’Etats nationaux complices du capital international, sans qu’il y ait eu anticipation d’une telle destruction (c’est l’aspect « apprenti-sorcier » ininterrompu, qui a tant frappé tous les observateurs, y compris les plus naïfs). Aucun relais national n’a été trouvé qui serait humainement préférable aux dictatures, une forme plus respectueuse des collectivités locales, ou plus acceptable dans sa répartition des richesses. S’agirait-il d’une malédiction ? Au milieu de ce pourrissement d’Etats récemment imposés, l’essor des sectes conquérantes a donc commencé, d’une façon tout à fait inévitable2 méprisant des frontières dépourvues de signification et voulant renouer avec un califat sans autre limites que celles d’une communauté religieuse, fut-elle imposée. Le mandat des dictatures pro-occidentales semble décidément avoir expiré. C’est ce qu’a compris, avec de tout autres conclusions, le meneur kurde Abdullah Öçalan, devenu lecteur du théoricien libertaire Murray Bookchin, et cessant du même coup d’être lui-même un reliquat stalinien attardé. Il suffit de lire l’histoire, pourtant brève, de ce que les médias occidentaux appellent sans doute par humour noir l’Armée syrienne libre, c.à.d. celle d’un informe conglomérat, chimiquement instable, de milices entretenues par diverses puissances occidentales ou arabes, parfois ou souvent elles-mêmes salafistes / intégristes, pour observer à l’œil nu à quel point l’unification par le sommet est inconciliable avec la réalité complexe des populations. Chaque fois qu’une fraction entend jouer le rôle dirigeant, elle prépare du même coup l’instant où elle sera nécessairement abattue, avec la même régularité que le système de la vendetta menait à de nouveaux meurtres, décrivant une spirale que rien ne peut apaiser. En pareil contexte, et pour parodier un ancien philosophe grec, chaque existence particulière se présente comme un excès et une insulte à toutes les autres dès qu’elle se saisit du pouvoir. Dans une société où même le monothéisme n’a pu instaurer d’unité au fil des siècles, le dessaisissement volontaire, élogieusement décrit par Hobbes, ne peut fonctionner (« par là même, tous et chacun d’eux soumettent leurs volontés à sa volonté, et leurs jugements à son jugement. C’est plus que le consentement ou la concorde : il s’agit d’une unité réelle de tous en une seule et même personne, faite par convention de chacun avec chacun, de telle manière que c’est comme si chaque individu devait dire à tout individu : j’autorise cet homme ou cette assemblée d’hommes, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et autorises toutes ses actions de la même manière »3. Si certains, en effet, lui abandonnent leur droit et l’autorisent à agir en leur nom, ceci sera la cause suffisante pour que d’autres fassent immanquablement le contraire : sunnites et chiites se montrent très rodés dans cet exercice des plus stériles. Il faut donc abandonner la perspective d’un Etat national pouvant être accepté, et, du même coup, l’absence d’Etat, qui apparaît aux défenseurs occidentaux de l’Etat comme une abominable arriération, peut en réalité induire un dépassement réel, promis à une contagion favorable. C’est ainsi qu’au nom d’une minorité opprimée dépourvue d’Etat (les populations kurdes), Öçalan cherche à renouer avec une démocratie se situant au-delà (ou en-deçà) du masque national et représentatif dont l’Occident l’avait affublée, pour la dénaturer. Les chances de voir un projet de ce type réussir sont incertaines, puisque tous les pouvoirs locaux aussi bien que lointains sont unanimement opposés à lui, mais il s’agit en même temps de la seule issue possible du casse-tête proche-oriental4.

L’Etat national importé par les Occidentaux ne s’est jamais doté d’une base socio-économique comparable à celle de son modèle occidental. Un tel progrès était peu vraisemblable pour les sociétés concernées, mais aussi et surtout peu souhaitable pour les puissances coloniales, qui pillent encore plus facilement une société de rente qu’une économie productive constituée. Les traditions comme les objectifs de l’Etat islamique le situent donc du côté de ce que certains commentateurs appellent, à juste titre, la logique impériale. De cette logique impériale, il existe de nombreuses versions historiques, négligées dans le schéma historique promu par les Occidentaux : celle de l’empire ottoman 5, de souvenir récent et ayant laissé des traces profondes dans ces pays, mais aussi celles, plus anciennes, de l’invasion arabo-musulmane et de l’empire romain. Ahmed Henni a développé 6 la nature prédatrice de ces systèmes, non pas basés comme la féodalité et la modernité européennes sur l’exploitation du travail mais sur la captation de rentes, généralisant ainsi une structure clientéliste dépendante d’un pouvoir qui est parasitaire, mais qui apparaît au contraire comme la source (distributive) des richesses collectives. Dans l’article cité plus haut (Aux origines de l’Etat islamique), Matthieu Rey décrit fort bien la contradiction apparente entre d’une part la terrible gesticulation despotique destinée à l’ennemi et à l’étranger (deux termes tout à fait synonymes pour les déments de l’Etat islamique), qui témoigne d’une incroyable frénésie de pouvoir, et d’autre part l’espèce de domination simplement formelle héritée des empires, arabe et turc, pour tenir les territoires conquis de l’intérieur tout en acceptant de larges pans de leur mode de vie et de leur hiérarchie précédentes, contrairement aux dictatures totalitaires que le siècle dernier connut en Europe. Il est vrai qu’Henni franchissait un pas supplémentaire en rapprochant le syndrome islamiste (celui d’Al-Qaïda et de l’Etat islamique) du passage mondial d’un capitalisme productif à un capitalisme rentier, ce qui paraît quelque peu artificiel dans la mesure où les islamistes disposent, dans le passé de leurs régions, de modèles de référence parfaitement suffisants, d’une part, et où d’autre part, comme Henni le rappelle lui-même, les Etats producteurs de pétrole n’ont pris naissance que selon ce schéma rentier, auquel ils restent fermement accrochés (leur fabuleuse richesse ne résultant d’aucune sorte d’ « accumulation primitive », et ne débouchant jamais sur elle).

Si donc il existe quelque chose dont les populations arabes ne manquent pas, c’est bien d’ennemis ligués contre elles, même si ceux-ci sont souvent en guerre entre eux : les Etats locaux (régimes monarchiques, dictatures militaires, pastiches de démocratie parlementaire), les coalitions internationales (occidentales et russes), le despotisme religieux profondément abrutissant, leurs vieilles inimitiés tribales et confessionnelles, une habitude ancestrale parfaitement dégradante de clientélisme et d’économie de rente.

Les récents attentats commis en France ponctuent cette pénible histoire du néo-colonialisme économique et militaire. Les interventions successives, entreprises avec ou sans mandat de l’ONU, avec ou sans alliés occidentaux, avec ou sans mercenaires levés localement, mais toujours sans déclaration de guerre, ont réussi à mettre à feu et à sang l’Afghanistan, la Lybie, l’Irak et la Syrie, et montrent à l’envi que dans ces pays, tout le monde est chez soi, les Américains, les Européens, les Russes. Les Français déplorent les morts des attentats parisiens, mais aussi la peur de voir revenir ici une violence qui est pourtant quotidienne là-bas et dans laquelle leurs propres gouvernants trempent des pieds au menton 7. Les tarés intégristes, eux, n’ont aucunement besoin d’exporter en Europe des kamikazes endoctrinés chez eux, il leur suffit de laisser agir ou d’encourager à l’action des petites frappes que la société française et belge produit en série. Le mode de « conversion » de jeunes délinquants, issus de milieux plutôt pauvres et fascinés comme nombre de leurs congénères par la bêtise médiatique et l’argent rapide, à un islam livré en barquette, instantanément décongelable au micro-onde, prêt à consommer comme l’étaient précédemment leurs ridicules selfies sur Facebook, illustre bien qu’en agissant ainsi, et malgré le très douteux exotisme de leurs nouvelles idoles, ils poursuivent à leur façon la trajectoire des cerveaux vides qui étaient leur lot depuis leur naissance. Ce ne sont donc pas les islamistes, ou les arabes, qui menacent d’envahir nos pays de l’extérieur, mais bien plutôt la production locale d’individus qui, finissant dans les poubelles de nos sociétés, régurgitent de plus en plus, comme n’ont pas manqué de l’observer un certain nombre de commentateurs 8.

Le profil identique de tous ces jeunes terroristes ne laisse que peu de doute sur les motifs de leur conversion à l’industrie du carnage. Leur origine sociologique n’est pas toujours aussi désespérante qu’on le penserait – du moins si l’on s’en tient à des critères convenus de misère économique quantifiable. Mais tout change si l’on saisit la notion de misère selon des critères moins médiocres. Tous anciens délinquants, ils sont issus de cette frange de la population de banlieue où le conformisme se mêle indissociablement à son contraire, car le petit délinquant est en rupture avec la société, si on considère celle-ci comme un ensemble de lois issues de l’ancienne société bourgeoise, mais il est le parfait conformiste, si la société du spectacle est prise dans son discours médiatique : tout ce qu’il aime, c’est ce que ce discours préconise, le pouvoir de l’argent, la loi du plus fort et du plus macho, la jouissance instantanée à la petite semaine, la frime, le « délire », Facebook, les selfies au volant d’une grosse cylindrée. Il ne faut pas perdre de vue qu’aucun message publicitaire ou presque, sans parler de la sinistre industrie du clip, ne joue plus sur d’autres thèmes que sur l’éloge d’être délirant, déjanté, éclaté, hype, le summum de la vulgarité étant toujours le degré minimum du style requis pour plaire à un public mentalement asservi. Cette fameuse « société » ne cesse donc d’envoyer des messages parfaitement contradictoires et incompatibles, typiques d’un double bind capable de rendre fou. C’est de cette matrice que les terroristes sont issus, avant même d’avoir songé un instant à l’islam (il n’est peut-être pas anodin qu’en tant qu’islamistes, ils seront censés brûler ce qu’ils avaient adoré). A cette tension insoluble s’ajoute un écœurement compréhensible, ressenti devant une perspective de vie normale, médiocre et dépourvue d’élément excitant, mais cette médiocrité est conçue dans les termes les plus lamentables et les plus aliénés, puisqu’opposée aux remèdes miraculeux que seraient l’argent, la violence et le pouvoir. Faut-il réfléchir longtemps pour comprendre que les tensions liées à une position subjective aussi délabrée sont nécessairement à l’affut de tout ce qui semble promettre de les résoudre? De façon habituelle, le suicide par l’alcool et la drogue, et la plongée dans une criminalité accrue constituaient les seules formes d’évolution possibles, quand la « réinsertion » est rejetée comme une forme de reddition. La conversion personnelle à une théologie sévère et contraignante était rare, y compris en milieu musulman. Mais voici que se présente un discours théologique qui, en réalité, est aussi bien l’héritier des jeux vidéo et de leur délire de surpuissance que du Coran, compilation elle-même contradictoire dans laquelle on se contente d’aller puiser les passages qui, effectivement, sont de nature à attiser la haine et le mépris de « l’incroyant » 9. Le double bind ne disparaît pas quant au contenu, mais le voici canalisé par un édifice idéologique concocté ad hoc, capable de le recycler à son profit : il n’y a plus de conflit entre brutalité et morale, entre le ça et le surmoi, les deux ont fusionné, comme dans la perversion classique, la loi est désormais le scénario qui apporte la jouissance. De sorte que ce qui pose problème n’est pas d’expliquer les « conversions » dans ce milieu mais au contraire de concevoir qu’il puisse ne pas y en avoir. Le passage d’un acte violent contre autrui au suicide final du terroriste peut s’expliquer par l’absorption de Captagon, peut-être, mais aussi plus simplement par l’ivresse d’un individu parvenu au fond du tunnel de sa programmation, perçu comme le sommet de sa gloire : question qui reste en suspens depuis l’époque des haschischins, au onzième siècle de l’ère chrétienne. Toujours est-il que l’Etat islamique a réussi le tour de force de procurer à ses séides un cocktail détonnant de soumission absolue et d’illusion de liberté qui met en valeur jusqu’à la mort la contradiction d’origine du jeune musulman de banlieue. Sans que cela ne justifie évidemment le moins du monde la folie fanatique des islamistes et encore moins les massacres réalisés par eux, on aurait tort de ne pas saisir le vide dans lequel ce fluide nauséeux vient se déverser, un vide sans lequel rien de tel ne serait possible et qui ne peut manquer de déboucher sur des attitudes de plus en plus terribles, à l’image d’une civilisation en plein déclin. Il convient de garder à l’esprit que « l’homme veut le rien plutôt que de ne rien vouloir » (Nietzsche, Contribution à la généalogie de la morale), et qu’il n’y a rien de plus dangereux qu’une société décomposée qui ne sait plus proposer de but à la volonté de vivre, laquelle se mue alors en volonté de tuer et de mourir soi-même. Ce vide béant, qui n’était perçu que par la sensibilité affinée des poètes et des philosophes depuis plus d’un siècle, devient finalement lourdement perceptible pour tout un chacun, à commencer par les bas-fonds de ce monde finissant.

Pour continuer à tourner le dos à des motifs et des circonstances d’une telle gravité, les histrions du gouvernement se contentent d’instaurer un état d’urgence qu’ils utilisent davantage contre des manifestants ou des écologistes français que contre des terroristes islamisés 10, un état d’urgence et un arbitraire policier qui permettront à Mme Le Pen, une fois élue, de se sentir comme chez elle, pouvant jouer d’un équipement institutionnel taillé à sa mesure ; et, simultanément, intensifier des bombardements au Proche-Orient comme s’ils ne voulaient pas prêter l’oreille aux experts militaires qui répètent pourtant inlassablement que cette méthode n’aboutira pas, ou seulement à enrager encore davantage des islamistes non affaiblis : parfaite harmonie, à l’intérieur comme à l’extérieur, de réactions parfaitement inadéquates, mais de nature à camper le futur candidat, jusqu’ici pitoyablement discrédité, en vénérable « chef de guerre » 11.

Tout le monde se souvient de la célèbre plaisanterie dans laquelle on voit un fou, dans la cour de l’asile, chercher quelque chose sous un réverbère, la nuit tombée. Interrogé sur la nature de sa recherche, il répond : j’ai perdu mes papiers. Les avez-vous perdus ici ? lui répond son interlocuteur. Non, répond le fou, je les ai perdus là-bas, mais je préfère chercher ici parce qu’il fait plus clair. Voilà, brièvement résumée, la politique intérieure de l’Etat français. Ne sachant retrouver les terroristes, qui passent entre les mailles du filet avec un regrettable brio, et encore bien moins les identifier avant qu’ils ne commettent l’irréparable, il préfère s’acharner sur des opposants français contre lesquels il fait preuve d’une stupéfiante « pro-activité » 12, celle-là même qui faisait défaut à propos d’islamistes « radicalisés » déjà fichés, mais n’étant pas encore passés à l’action 13. Si la sécurité était vraiment la seule et véritable préoccupation d’un gouvernement, il protègerait les manifestants de toute attaque terroriste ; au lieu de quoi c’est eux qu’il poursuit, matraque et enferme 14. Tout le monde constate par ailleurs que les manifestations politiques sont interdites pour cause de danger terroriste 15, mais pas les événements commerciaux de masse. En même temps on prévient déjà à quel point on souhaite transformer ces mesures liberticides, à peine proclamées, en état durable 16.

Côté politique extérieure, c’est une « guerre » qui n’a pas été déclarée, menée sans stratégie ni but de guerre, avec des moyens dont on sait qu’ils sont inadéquats, ressemblant au fameux couteau sans lame auquel il manquait le manche (comment imaginer une adéquation entre buts et moyens quand on ne dispose ni des uns ni des autres ?), voilà une guerre qui ne peut mener, comme celle menée par le grand frère américain, qu’à en éterniser les opérations mais aussi à booster les ventes d’armement : les marchands de canon qui approvisionnent les belligérants 17 étant clairement la seule partie de la population à pouvoir penser que cette guerre sert vraiment à quelque chose, dans un monde où la guerre n’est plus la poursuite de la politique par d’autres moyens, mais celle de l’économie par d’autres moyens. L’Etat français, semble-t-il déjà à cours de bombes ( !), va remplir les carnets de commande. Pas étonnant, puisque 2500 sorties aériennes et 680 bombes n’auraient occis qu’un millier d’islamistes ( en supposant que toutes les victimes en étaient !), soit 1,4 victime par bombe… Pour 30.000 combattants, faudra-t-il 42.000 bombes ?!

Gesticulations internes et gesticulations externes se succèdent donc pour faire oublier l’absence totale de pouvoir d’intervention sur les origines réelles du problème. Une France en cours de pétainisation acceptée, prête à tomber dans les pièges les plus éculés d’un chauvinisme réchauffé, voilà qui constitue le parfait côté pile d’une pièce dont les guerres néocoloniales forment le côté face. Tandis que le monde arabe régresse vers le délire de la charia, la France sort du grenier l’infâme chauvinisme à peine modernisé, se mettant à son tour à produire du communautarisme. L’identitaire prend nécessairement le dessus dans une société où l’intérêt privé est tout, et l’intérêt général n’est rien. La communauté identitaire n’est que la tentative déplorable d’additionner des intérêts privés tout en les conservant comme tels, et en escamotant l’intérêt général. Le plus archaïque est ainsi revigoré par le plus moderne, et le « dernier cri » du jour est condamné à n’être qu’un borborygme préhistorique. La liberté tant individuelle que collective réside au contraire dans le dépassement librement consenti des communautés, l’ « identité » est ce qui est au bout de la grande exogamie universelle, pas le retour vers son origine, alors que les limites étroites de l’égoïsme des entreprises et des sujets marchands prêche l’identité excluante du matin au soir, sans même qu’on ait besoin d’imams ou d’adeptes du gros rouge / saucisson. L’ouverture au marché mondial, grand thème de l’euphorie néo-libérale, ne peut en aucun cas cacher que cette prétendue ouverture n’est qu’un mécanisme de fermeture sur son propre profit, au sens le plus étroit : la mondialisation n’est qu’une exploitation du monde au profit de soi-même, en aucun cas une ouverture à autrui.

Le mépris pour les populations arabes civiles qu’on pilonne sur place est aussi celui dont on témoigne ici en les laissant pourrir en banlieue. La France, dont la publicité officielle prétend qu’elle est la « patrie des droits de l’homme », se précipite comme un seul homme pour enterrer ces mêmes droits 18 pendant que son premier ministre les oublie aussi en Arabie saoudite 19 : là aussi, parfaite unité entre politique intérieure et politique extérieure. Mais la dimension « raciste » endémique dans ce pays, superficiellement contrebalancée par les innombrables témoignages d’un modernisme « multiculturel » stupide 20, ne constitue pas l’explication finale, car elle ne fait qu’exprimer le cul-de-sac complet d’une société dont Hannah Arendt écrivait déjà en 1956 : « ce qui nous attend n’est autre qu’une société de travail où le travail viendrait à manquer, et avec lui la seule forme d’activité que cette société connaît encore. Qu’est-ce qui pourrait s’avérer plus fatal ? » (The Human Condition, notre traduction). Le primat du travail a englouti l’action et la pensée, comme l’avait constaté Arendt, qui ne sont plus compatibles avec lui : personne ne peut raisonner, sur quelque sujet que ce soit, sous les fourches caudines de la marchandise et de la recherche de profit. La disparition progressive du travail disponible ne rétablit rien dans cette misère, bien au contraire : le salaire devient un bien raréfié et désirable, quand on ne s’adonne pas carrément à l’économie illicite, qui ne déroge aucunement aux règles de l’économie. Une telle société, qui n’en est plus vraiment une, ne pourra qu’en finir avec la domination des catégories économiques, ou elle pourrira sur pied, de la façon la plus barbare. Pour l’instant, c’est malheureusement le second terme de l’alternative qui a le vent en poupe, et même d’une façon accélérée. La vieille alternative « socialisme ou barbarie », forgée par Rosa Luxemburg en 1915, n’a jamais été aussi vraie.

A la criminelle désinvolture dont font preuve les dirigeants, que peut-on opposer si ce n’est leur complète éviction au profit d’une démocratie directe dans laquelle l’intérêt général aurait à nouveau une réalité ? Où ceux qui prennent des décisions seraient aussi ceux qui en supporteront les conséquences, lesquelles par conséquent présideront aux décisions, et non plus l’intérêt particulier des hommes d’Etat et des marchands de canons ? A quel moment la légitime lassitude des populations devant le marécage nauséeux de la caste politique, d’où aucune solution ne peut survenir, cessera-t-elle de les entraîner en direction des pires exemplaires de cette même caste, qui les brossent dans le sens du poil pour mieux pouvoir les tondre ? De mal en pis : telle est la formule qui résume tant de décennies, une pente descendante qu’il faut quitter au plus vite. Ce sont les mêmes actions, comme par hasard, qui pourront résoudre le problème climatique et le péril terroriste, mais jamais on n’en a semblé aussi éloigné.


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La multinationale EI

par Les Amis de Némésis

 

[Pour télécharger en format PDF : La multinationale EI]

 

Un nouveau membre du groupe Exit ! vient de publier deux articles très intéressants sur l’Etat islamique. L’auteur s’appelle Tomasz Konicz, il est journaliste indépendant d’origine polonaise.

Nous ne doutons pas que, compte tenu des nombreux relais du groupe Exit ! en France, ces articles feront rapidement l’objet d’une traduction exhaustive, mais en attendant, nous pensons utile de donner une idée à nos lecteurs de l’approche qui y est développée. Ce qui suit est donc une traduction condensée de ces deux textes très redondants (on pourrait qualifier cela de « résumé épuratoire »…).

Le premier article est intitulé Domaine d’activité : la barbarie (Geschäftsfeld : Barbarei). Il s’agit d’un article de 12 pages, publié en janvier 2015 sur le blog personnel de Tomasz Konicz (http://www.konicz.info/?p=2929).

Le second a été publié le 01.10.2014 sur le site d’Exit ! et est intitulé Globalisierte Barbarei – ein Versuch, das Phänomen « Islamischer Staat » zu begreifen (La barbarie globalisée – une tentative de comprendre le phénomène « Etat islamique ») : http://www.exit-online.org/textanz1.php?tabelle=aktuelles&index=9&posnr=622.

Commençons par le premier article.

Selon la presse britannique (Telegraph et Financial Times), l’EI agit comme une « entreprise multinationale » et vise à « vendre la terreur », avec un degré de précision comparable à la comptabilité tenue par des groupes industriels. En effet, l’EI établit tous les ans un bilan détaillé (une brochure sur papier glacé) recensant les progrès accomplis dans sa campagne de terreur.

La directrice du thinktank américain Institute for the Study of War, Jessica Lewis, a par exemple déclaré au Telegraph : « ils ont un business plan et leur activité primaire consiste dans l’expansion par la conquête. »1

Les deux quotidiens britanniques se réfèrent à une analyse de l’Institute for the Study of War, lequel s’intéresse de très près aux bilans annuels de l’EI, nommés « al-Naba », établis pour les exercices 2012 et 20132. Comme il est coutumier pour une entreprise, le bilan est essentiellement une présentation chiffrée. Des représentations infographiques professionnelles, en tout point comparables aux présentations circularisées par les départements de relations publiques des groupes industriels occidentaux, illustrent les progrès militaires accomplis par l’EI. Le lecteur intéressé pourra ainsi apprendre qu’au cours de l’exercice 2013 (année comptable allant de novembre 2012 à novembre 2013) le nombre des actions militaires entreprises en Iraq se monte à 7681, dont 1083 assassinats, 607 attaques au mortier, 1015 attaques à l’explosif contre des bâtiments et des lieux de prière d’ « infidèles », 537 explosions de voitures et 238 attentats-suicide (plus précisément 160 avec des gilets-suicide, 78 avec des véhicules). La précision baisse lorsqu’il s’agit de recenser les « chiites expulsés » et les « infidèles convertis » (pour chaque catégorie, « plus de 100 »).

S’agissant de l’équipement militaire de l’EI, on peut apprendre qu’en 2013 celui-ci disposait de 887 bazookas, 359 mortiers et de 633 armes de poing3.

Les commentateurs de l’Institute for the Study of War pensent que la publication de ces bilans sert à démontrer l’efficacité de l’EI et de trouver de nouveaux sponsors financiers. Ici comme dans le business en général, il faut préserver la bonne humeur des actionnaires en présentant de bons résultats. Ces actionnaires seraient de façon prépondérante de riches hommes d’affaires issus des despotismes du Golfe, habitués aux brochures sur papier glacé qui leur parlent de pétrole en particulier ou d’énergie en général.

Un expert allemand, Michael Lüders, mentionne la position très ambivalente de l’Arabie saoudite vis-à-vis de l’EI. Le régime saoudien ne soutient pas directement l’EI mais le laisse faire par des personnalités richissimes de son pays. Les proportions sont mal connues. Et d’autres Etats du Golfe agissent de même. Tous ces financiers voient en l’EI un rempart contre le chiisme et notamment contre l’Iran.

Une partie des fortunes réalisées dans le pétrole, servant à maintenir le délire automobile dans les pays occidentaux, part ainsi dans les coffres des milices terroristes agissant dans les périphéries décomposées de l’Arabie. L’argent du pétrole se reconvertit en têtes coupées ou en gorges tranchées, en populations exilées, en mains coupées, en terrorisme se présentant comme un exercice de vertu, en bâtiments, églises et mosquées dynamitées, en femmes violées et en enfants réduits à l’esclavage.

Les investissements effectués par les théocraties despotiques du Golfe ont été rentables si l’on considère la prise de Mossoul et l’occupation de larges parties de l’Iraq et de la Syrie. L’EI est devenu l’organisation terroriste la plus riche au monde. Rien qu’en se saisissant de la banque centrale de Mossoul, l’EI s’est enrichi d’environ 425 millions de dollars US. Si l’on ajoute à cela des actifs de l’ordre de 875 millions de dollars US ainsi que diverses saisies par occupation militaire, la fortune de cette organisation doit s’élever à environ 2 milliards de dollars US. L’EI pratique une politique de pillage dans toute la région du Tigre et de l’Euphrate, qui était un berceau de la civilisation. Les miliciens explorent les musées et les sites archéologiques pour en extraire des objets de valeur, qu’ils commercialisent ensuite au marché noir, créant des revenus de douzaines de millions de dollars. Le pillage d’un seul site de fouilles en Syrie est censé avoir rapporté 36 millions de dollars US.

Mais l’EI contrôle essentiellement des gisements de pétrole en Syrie et en Iraq, offrant de substantiels revenus.

La criminalité organisée prospère dans ces régions, les mafieux n’étant après tout que des entrepreneurs agissant sur un terrain illégal (stupéfiants, armes, contrats d’assassinat, kidnapping, trafic d’humains, etc., commerces auxquels il faut ajouter la perception d’ « impôts » de protection, les braquages de banques et le blanchiment d’argent). La frontière entre criminels mafieux et islamistes est inexistante. La revue Foreign Policy a établi que les revenus des activités criminelles dépassaient désormais les autres sources financières. Les réserves en numéraires résultant des activités mafieuses seraient de l’ordre de 500 millions de dollars US.

Le New York Times a parlé de la « commercialisation » des réseaux terroristes islamistes comme ayant pris naissance avec le trafic d’héroïne des talibans. Al-Qaida au Maghreb, Boko Haram au Nigéria ou les milices somaliennes Al-Shabbaab sont des entreprises de plus en plus rentables. Cette orientation de milices intégristes vers l’accumulation de profit a conféré à ces organismes « une nouvelle vie », un pôle d’attraction pour des pauvres du monde entier. Il est devenu possible d’acquérir de toutes pièces une véritable armée. En Ukraine, un milicien gagne 1000 USD par mois. Au Proche-Orient, compte tenu du degré de misère existant, ce salaire tombe à 600 USD par mois. Un revenu de 425 millions USD peut donc garantir à l’EI une année d’activité avec 60.000 combattants. La formation de ceux-ci pose de moins en moins de problème puisque à la longue, des régiments entiers de mercenaires expérimentés affluent d’autres pays vers un Etat islamique doté de ressources pléthoriques.

Pour de nombreux jeunes marginalisés dans la région, la seule perspective pour échapper à la misère et à la faim est de « faire carrière » dans les rangs de l’EI. On a entendu parler de jeunes banlieusards d’Istanbul rejoignant l’EI pour 400 USD par mois. Les combattants de l’EI sont considérés comme riches, et la perspective de conduire une BMW X5 est souvent plus attrayante que d’aller au paradis d’Allah. Plus d’un tiers des combattants a été recruté à l’extérieur des pays en guerre. Un terroriste arrêté au Kurdistan syriaque a dépeint un flux permanent de djihadistes en provenance du monde entier, recruté à travers une vaste campagne de publicité (« beaucoup d’anglais, des gens venant d’Asie, d’Europe et d’Amérique »).

L’EI constitue pour ainsi dire un produit collatéral barbare de la globalisation capitaliste en crise. Il ne s’agit plus d’un mouvement insurrectionnel autochtone, traditionnaliste et émanant de tribus locales, mais d’une armée d’occupation globalisée, qui se déploie dans les régions socialement, économiquement et politiquement effondrées. C’est pourquoi l’EI ne massacre pas que des « infidèles » mais aussi des sunnites qui refusent cette occupation. L’EI a par exemple intégralement exterminé un groupement sunnite d’environ 700 personnes en Syrie orientale à la mi-août 2014 parce que les meneurs de cette tribu avaient refusé de se soumettre au nouveau califat.

L’auteur reconnaît à l’EI une structure de commandement efficace, une organisation militaire performante, un talent certain dans sa politique de relations publiques (la gestion en direct de la terreur), de réels succès dans le recrutement, le sens du lean management (le commandement des groupes intégrés localement est conservé).

L’auteur croit reconnaître une différence entre les grands groupes industriels qui déploient leur activité (et les destructions qui s’y rapportent) pour produire du profit tandis que l’EI accumule du capital en vue des destructions, et il voit dans cette originalité de l’EI « le devenir-manifeste de la tendance autodestructive inhérente au capitalisme »4.

Konicz retient que l’objectif de l’EI est de supprimer tous les « infidèles » de la même façon que les nazis entendaient supprimer les « sous-hommes non aryens » (juifs, bolchéviques, slaves, tziganes, homosexuels) et que les deux organisations utilisent les moyens les plus modernes et l’efficacité industrielle pour parvenir à ces fins archaïques5.

Selon Konicz, « l’industrie terroriste mise en place par l’EI reflète l’irrationalité de crise de la socialisation capitaliste »6.

Selon Al Jazeera, le succès de l’EI engendre désormais des phénomènes mimétiques en Asie du Sud-Est (aux Philippines avec Abou Sayyaf). Au Nigéria et au Cameroun le groupe Boko Haram veut instaurer un califat africain et occupe un territoire de la taille de l’Irlande.

Le développement des armées terroristes apporte la preuve irréfutable de l’échec des guerres menées par les Occidentaux « contre le terrorisme ». Ces guerres ne suppriment pas leur ennemi mais le multiplient. Tous ces mercenaires, venus des pays les plus divers, ne peuvent généralement plus rentrer dans leur pays d’origine et considèrent la « guerre sainte » comme leur nouvelle patrie. Le réservoir au recrutement est immense, dans toutes les zones déshéritées du tiers monde mais aussi des pays occidentaux.

Une étude de l’Office de protection de la constitution a établi sur la base des 400 islamistes actifs provenant d’Allemagne que la majorité des convertis au djihad étaient des individus marginalisés, parmi eux seuls 12 % avaient une activité professionnelle stable, la plupart vivait de niveaux de revenu minima. Seulement 6 % d’entre eux avaient connu une formation professionnelle, et 2 % avaient fait des études supérieures. Un tiers d’entre eux avaient un casier judiciaire, généralement lié à la petite criminalité habituelle dans les ghettos. Dans 23 % des cas seulement, les parents de ces individus étaient tenants d’un islam fondamentaliste. L’exemple le plus emblématique est celui de Denis Cuspert, ancien petit malfrat de banlieue devenu rappeur puis combattant d’Allah, enfin membre des sphères dirigeantes de l’EI. Le recrutement des djihadistes ne se fait pas dans les milieux les plus traditionalistes de l’Islam mais parmi des délinquants qui ne se souciaient pas spécialement de religion, et dont la « conversion » a eu lieu dans un grand remue-ménage émotionnel, du au fait qu’ils ne se sentaient aucunement faire partie de la société occidentale et se découvraient tout d’un coup une identité collective. La vocation djihadiste apparaît comme le répondant désastreux de la politique d’exclusion qui frappe les populations immigrées. Le racisme et l’islamisme se font face comme deux phénomènes symétriques (particulièrement en France, avec la montée du FN). L’islamisme n’est qu’une « modification religieusement masquée de l’extrémisme de droite, une sorte de fascisme clérical postmoderne et globalisé. » La « race » y est remplacée par « les infidèles ». Le pouvoir d’attraction identitaire de ce genre d’extrémisme est grand dans les périodes où tout part en morceaux, on cherche à retourner vers un passé idéalisé (et complètement falsifié).

La « civilisation occidentale » ne peut être le remède puisque c’est d’elle qu’exsudent en temps de crise tant l’extrémisme de droite que l’islamisme. De plus, c’est l’Occident qui a monté de toutes pièces le fondamentalisme islamique militarisé contre les Soviétiques dans les années 1980 et en fait une pièce constante de sa géopolitique. Qu’aurait été Oussama Ben Laden sans la CIA ? L’Occident a pour allié le plus constant dans cette région du monde le régime saoudien, le régime fondamentaliste le plus brutal de la planète, et toute lutte contre un djihadisme soutenu par Riyad évoque l’apprenti sorcier qui ne maîtrise plus les forces qu’il a déchainées. Mais plus encore que les machinations des services saoudiens ou américains7, c’est la crise dévastatrice qui fournit au djihad des milliers de jeunes gens sans perspective et acceptant le culte d’une mort sainte.

Et maintenant le second article.

Une fois de plus, la Maison Blanche veut rassembler une coalition mondiale contre l’Axe du Mal. Trois années de guerre devaient suffire, et la première campagne inclut des frappes aériennes en Syrie, ainsi qu’un budget exceptionnel de 500 millions USD. Il s’agit à présent d’aider les « rebelles syriens modérés », après avoir aidé avec les monarchies du Golfe une opposition syrienne comprenant toute une série de milices islamistes, dont l’EI. Ces prétendus « modérés » sont en réalité eux-mêmes dirigés par des islamistes concurrents de l’EI, comme l’alliance baptisée Front Islamique, fortement liée au groupe djihadiste Al-Nosra. Ces groupes islamistes issus d’Al-Qaida essaient de se différencier de l’EI, qui les a défaits militairement, et s’entraînent désormais en Arabie saoudite.

En résumé, l’Occident est à nouveau en train d’armer des islamistes contre d’autres islamistes, en espérant servir ainsi ses intérêts géostratégiques et abattre le régime d’el-Assad. La radicalisation successive des groupes instrumentalisés n’est qu’une affaire de temps.

La personnalité autoritaire est le profil commun entre le fascisme et l’islamisme. Dans les deux cas, il s’agit de se soumettre à un destin inamovible, atemporel, dans les deux cas la haine de celui qui ne se soumet pas (l’infidèle, le chômeur, le marginal, le libre-penseur) exprime la souffrance de celui qui a décidé de se soumettre mais ne veut pas avouer que son fétichisme consenti le mutile, dans les deux cas (le lecteur est renvoyé à Psychologie de masse du fascisme de Wilhelm Reich). Les nombreuses et terribles exactions sexuelles au Proche-Orient en sont un exemple pesant. Une vie sexuelle libre y est aussi impossible que la fondation d’une famille tant la misère l’interdit. En même temps, l’imposition du voile et d’autres rituels aux femmes traduit l’échec complet des tentatives d’occidentalisation de ces pays.

Rappel de la théorie de l’Abspaltung et du fait que la dégradation capitaliste de l’ordre patriarcal et agricole, qui avait pris des siècles en Europe, se présente brutalement dans les pays arabes et y engendre une peur terrible des femmes, et donc une haine décuplée contre elles.

Les autres points sont identiques avec l’article précédent.

 

 

PS : Le lecteur français peut avoir une idée du bilan annuel de l’EI en lisant le lien suivant : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20140922.OBS9880/etat-islamique-le-bilan-comptable-des-massacres.html

 

 

 

 


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