L’argent se réchauffe avec le climat
« Le capital, dit le Quarterly Reviewer, fuit le tumulte et les disputes, car il est de nature craintive. Cela est très vrai, mais ce n’est pas toute la vérité. Le capital a en horreur l’absence de profit ou un faible degré de profit, de la même façon que la nature a horreur du vide. Si le taux de profit l’y encourage, le capital ne manquera pas de se montrer audacieux. Avec un taux de dix pour cent garanti, on peut compter sur lui ; avec vingt pour cent, le voilà qui s’échauffe ; avec cinquante pour cent, rien ne le fait plus reculer ; avec cent pour cent, le voilà qui piétine toutes les lois humaines sans exception aucune ; avec trois cent pour cent, aucun crime ne l’effraie, même pas la potence. »
(Cité par Marx, Le Capital, Livre 1)
Dans un monde où l’argent l’emporte sur tout, la consolation la plus facile, et donc la plus répandue, consiste à imaginer que l’argent, comme source des maux les plus divers, en serait aussi pour finir le remède.
Depuis Adam Smith, l’hypothèse que la folie, parvenue au bout de son cycle, se transformerait en sagesse a eu beaucoup de succès : pas tellement dans la réalité, certes, mais du moins dans les livres et dans les discours ; très grand est le nombre de ceux qui ont cru qu’une sorte d’équilibre viendrait mettre fin au mouvement de déséquilibre qui, précisément, aurait été nécessaire pour l’engendrer.
Dans ces conditions, la spéculation, qu’elle soit purement boursière ou médiatisée par une industrie financière comme celle de l’assurance, apparaîtrait comme le garde-fou d’un ensemble qui en a urgemment besoin.
Le capital n’aimant pas perdre, il reculerait devant le risque, et tendrait vers la sécurité. Par une sorte de darwinisme spontané, la main invisible serait l’artisan d’une sélection naturelle du profit.
L’article suivant vient montrer qu’il n’en est rien. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, innombrables, mais il se distingue par une performance assez rare dans la franchise, même à une époque que caractérise généralement la « désinhibition » de l’argent et du profit.
Comme le développe ce technicien de la réassurance, tant qu’on peut financer des catastrophes en ponctionnant un prix de plus en plus élevé pour ce financement, on ne peut que se réjouir de leur existence, voire de leur prolifération. Elles se présentent alors comme une simple étape dans la surenchère du profit. Si 20 % des richesses terrestres disparaissaient dans un cataclysme, ce ne serait grave, selon ce spécialiste, que si l’on ne parvenait pas à prélever sur le reste quelque chose comme 40 %, autrement dit le double de ce qu’on aura dépensé pour indemniser les premières.
En attendant qu’on atteigne 100 %, puisqu’à ce moment là , évidemment, la réassurance disparaîtra avec tout le reste. Comment pardonner au réel qu’il vienne limiter la spéculation ?
Ce qui paraît donc limité sur le plan du calcul (mais à notre époque de recherche du profit immédiat, pourquoi se soucierait-on des limites, qui ne viennent qu’un peu plus tard ?), s’accommode d’autres qualités encore, dans un autre registre, moins immédiatement chiffrable. Car voici un bel exemple d’homme d’affaires pris en flagrant délit de réjouissance anticipée devant des fléaux qui vont ruiner la vie de tant de populations. « Le changement climatique offre aussi des opportunités », dit-il, mais par pour ceux qui, dans une prochaine inondation, seront expulsés de chez eux, auront perdu des proches, et dont la vie sera durablement anéantie, quand ils auront eux-mêmes survécu. Le malheur des masses, que voulez-vous, fait le bonheur de quelques uns.
Mais qu’importe. Nous ne sommes plus à l’époque barbare d’Attila, ce fléau de Dieu. Nous sommes à une époque aussi civilisée qu’un conseil d’administration, où l’on tient de pareils discours, au profit de pareils pronostics.
Laissons donc l’argent se réchauffer avec le climat.
Pereat mundus, profectus fiat !
Les Echos, 27 juillet 2007