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De la juste solution de quelques contradictions internes

De la juste solution de quelques contradictions internes

N. B. :
Les textes en caractères normaux sont issus de courriers de Brice M., en réponse à
« La production de l’étrangeté »,
ceux en caractères italiques de courriers de Renaud d’Anglade.
Les passages entre guillemets renvoient aux propos de Renaud d’Anglade dans
« La production de l’étrangeté ».

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I. Sur l’origine de la maladie et la question des contradictions du capitalisme

[24 janvier 2005]

« Que le caractère « malade » de la société réside dans les désordres et les catastrophes que l’on commence à voir s’accumuler », c’est ce que je pense de la société capitaliste, à la lecture de Marx, et pas en tant qu’écologiste. La maladie a sans doute commencé au moment où la bourgeoisie a dit, en arrivant au pouvoir, qu’il y avait eu de l’histoire mais que désormais il n’y en avait plus. Qui plus est, à la relecture de La planète malade, il ne me semble pas aussi clair qu’à toi que « l’ancien article de Debord présente la « maladie » de la société comme sa division (en classes) ». Je crois plutôt que, pour Debord, la maladie est synonyme de ce qu’ailleurs il nomme décomposition ou effondrement de la société de classes, en vertu du vieux principe révolutionnaire, qui traverse toute l’histoire de l’I.S., selon lequel « tout ce qui n’est pas dépassé pourrit ». La maladie sociale, dans une perspective situationniste réside, me semble-t-il, non pas dans la société de classes elle-même mais plutôt dans la contradiction entre le développement des forces productives (qui rend possible le dépassement de la division sociale en classes antagonistes) et les rapports sociaux de production (qui interdisent ce dépassement en emprisonnant les forces productives dans le vieux carcan de l’appropriation privative.)

[25 janvier 2005]

Le moment où a commencé la maladie gouverne assez largement la suite de l’analyse, comme la validité et la signification même de la notion de « maladie », et ne doit donc pas être laissé au hasard. D’ailleurs, tout le monde a son idée sur le sujet, explicitement ou non.
Du côté technophobe, le primitivisme peut aller par exemple jusqu’à déplorer la découverte du chopper par l’homo habilis, il y a environ deux millions d’années, pensant que c’est là la fondation de toute dérive technicienne. On peut aussi être nettement plus modeste et plus contemporain en insistant sur certaines répercussions irréversibles de l’activité technique sur la nature, par exemple avec le début de l’industrie nucléaire aux alentours de la Seconde Guerre Mondiale.
Du côté économique, on peut dater cette maladie de la domination de la société par la valeur (donc avec la naissance du capital industriel et du travail abstrait), mais aussi dater le début de nos malheurs de 1971, date à laquelle la référence monétaire du dollar à l’étalon-or a été supprimée, et où « l’instabilité financière » a pris une nouvelle dimension.
Il me semble que toutes ces définitions sont également fragmentaires et louches parce qu’elles ne tablent pas sur une conception globale de la société. Si l’on prend en compte le mouvement de la société comme totalité, on est amené à d’autres considérations. On peut par exemple, comme tu fais, dater la maladie du moment où la bourgeoisie a cessé de jouer un rôle « progressiste », et où les forces de production sont entrées en contradiction avec les rapports de production  . Cela correspond indéniablement à une certaine lecture de Marx. Marx a toujours soutenu le rôle historique joué par la bourgeoisie contre l’Ancien Régime tant qu’elle n’en était pas parvenue à cette échéance qui la condamnait elle-même, c’est parfaitement certain. En même temps, ce moment de renversement qualitatif du rôle historique joué par une classe sociale dominante est le moment où se déclare une maladie qui était d’emblée contenue, comme virtualité certaine, dans l’existence même de cette classe : on ne peut pas imaginer une classe dominante séparée qui ne présenterait pas, tôt ou tard, ce type d’évolution. Une fois qu’on a admis cela, doit-on continuer à dater la maladie de l’instant où le malade commence à avoir des rougeurs ? La maladie, si nous admettons de tester cette notion, réside-t-elle dans ses symptômes ?
Le parti que j’ai pris est différent. Si la notion de maladie peut être envisagée à propos de l’histoire sociale (avec l’idée que la société est le malade), il me semble qu’elle doit être fondée ailleurs que dans l’apparition (momentanée ou même cyclique) de symptômes (économiques ou écologiques). Elle ne peut être que de nature intrinsèquement et durablement sociale. Ceci gouverne d’ailleurs les types de protestation que l’on rencontre : les symptômes économiques ou écologiques induisent toujours des solutions réformistes et illusoires, la nature sociale ne permet elle qu’une guérison radicale, par la transformation en profondeur du type de société. Si la maladie est intrinsèquement sociale, elle réside alors dans le caractère conflictuel, contradictoire de la société, c.a.d. dans sa désunion, dans le dérèglement permanent de sa relation aux effets de son action pratique, dans la division de la société en classes. Cela aussi se trouve dans Marx, puisqu’il est question de l’histoire comme histoire de la lutte des classes : la société est divisée depuis que les classes existent, et l’évolution conflictuelle des classes est ce qui détermine l’histoire des sociétés. L’histoire existerait aussi sans la lutte des classes (parce qu’elle existe partout), mais en ce qui concerne la société humaine, elle n’a existé depuis très longtemps qu’en tant que conflit entre les classes, et en tant que canalisation des innovations et des activités en fonction de ce conflit.
Doit-on dire qu’un Empereur qui fait passer par les armes plusieurs milliers de prisonniers afin de combler une vallée avec leurs dépouilles régissait une société saine ? Doit-on dire qu’une bureaucratie d’Etat qui absorbait de façon stérile tout le surplus produit par une paysannerie condamnée à une misère perpétuelle dirigeait une société saine ? Une communauté de citoyens qui excluait de la vie publique les femmes et les esclaves était-elle sur la voie de la santé ? Ce ne sont pas là des jugements moraux, mais des situations qui montrent que la forme de société régnante était condamnée, incompatible avec l’évolution qu’elle était décidée à bloquer, imperméable à ce qu’elle produisait en son propre sein, et donc, à terme, avec sa propre continuation. Ce qui a changé, et ce qui a pris la forme d’un symptôme, c’est que le désordre social créé par la division en classes se double à présent d’un désordre tout aussi profond dans l’ordre naturel.
Ceux qui datent la maladie de la domination par la valeur n’ont certainement pas tort. Encore faut-il se demander quelles formes archaïques de proto-valeur ont coexisté avec les classes dominantes d’avant l’économie marchande. L’histoire de toute cette misère est assurément plus longue que ce qu’on en dit couramment.

[31 janvier 2005]

Je ne pense pas qu’il y ait de véritable contradiction entre mes commentaires à « La production de l’étrangeté » et mes précédentes remarques à propos du « Concept de maladie ». Au XIXe siècle, l’étude de l’histoire passée donnait généralement raison à ceux qui pensaient alors que la contradiction entre le développement des forces productives et les rapports de production avait conduit en divers temps et lieux à la dissolution permanente des anciennes structures sociales. Et, du vivant de Marx, les contradictions du capitalisme semblaient conduire, avec la fatalité qui préside aux lois de la nature, à son effondrement et à une révolution sociale. Mais, nous avons vu depuis comment le capitalisme a surmonté, du moins provisoirement, ses contradictions initiales, en donnant naissance à la société du spectacle. Dans ce nouveau contexte, l’ancien schéma des contradictions du mode de production marchand connaît une mutation imprévue. Contrairement à l’ancienne prévision marxiste, les rapports de production capitaliste ont résisté victorieusement au développement des forces productives, au prix fort, cependant, d’une importante limite qui est la signature même du système marchand. Ce développement est condamné à être purement quantitatif. En d’autres termes, comme Debord l’avait compris dès 1972, le mode de production capitaliste s’est montré à la fois capable de surmonter ses contradictions premières, en parvenant à un développement quantitatif de la production de marchandises, et incapable d’un développement qualitatif, comme le montre le danger croissant représenté par la pollution. C’est pourquoi, conformément à ce schéma, j’écrivais : « Ce ne sont plus les rapports de production qui résistent à l’accroissement quantitatif des forces productives. » Cela signifie en clair que les rapports de production ont réussi à enrôler et maîtriser le développement productif en lui donnant un tour exclusivement quantitatif, mais en produisant dialectiquement de nouvelles et plus formidables contradictions. Bref, mes différentes remarques ne me semblent pas contradictoires parce qu’elles s’appliquent à différents moments du processus.

[31 janvier 2005]

J’adhère totalement à tes propos relatifs au développement quantitatif versus qualitatif des forces productives, et je regrette vivement que cette clarification ne vienne que maintenant, et qu’elle était si cruellement absente de mes propres propos. Cette opposition est plus à l’œuvre que jamais, comme tu écris, et nous devons sans cesse exposer les formes diverses qu’elle adopte, dans toute la mesure du possible. Il y a peut-être là une innovation terminologique à dégager, dans la mesure où le qualitatif qui était prévu a été contourné, et est constamment contourné, mais où l’accumulation quantitative mène à une sorte de « qualitatif négatif » dont la pollution est un exemple pilote. Le terme d’empoisonnement désigne bien cet état et pourrait peut-être constituer le terme adéquat.

II. Sur la notion d’appropriation

[24 janvier 2005]

« Qu’on ne puisse plus parler d’appropriation de la nature dans la mesure où l’appropriation implique l’idée qu’elle ait un sujet vivant. Or, l’appropriation du monde par la valeur équivaut finalement, après un assez long trajet fait apparemment en commun, à une opposition radicale entre la perspective de la valeur et la perspective de l’homme, et à une véritable désappropriation du monde par l’homme ». Cela, ce n’est pas dans Marx en tout cas. Du moins je n’y ai rien lu de tel. Je trouve cela d’autant plus bizarre que ton cadre de référence c’est Marx, comme tu l’as écrit. D’autre part, pourquoi ce qui était vrai du temps de Marx ne le serait plus ? Nous assistons aujourd’hui à l’approfondissement d’un processus de concentration de la propriété (à un mouvement d’appropriation pluriséculaire) entre les mains d’un nombre d’hommes de plus en plus réduit. C’est une banalité de base mais pourquoi cela n’en serait-il pas pour autant vrai ? Prenons un exemple : l’appropriation du vivant par Monsanto ne serait plus une appropriation de la nature parce que les actionnaires de cette multinationale ne sont pas des sujets vivants ? Par conséquent, si, selon toi, « la notion d’appropriation mérite elle-même d’être précisée et approfondie, le terme à lui seul n’évoquant plus rien de convaincant », c’est plutôt ton explication que je ne trouve pas convaincante. Certes, lorsque tu écris que « l’ancienne idée d’une réappropriation du monde ne porte donc pas, spécifiquement, sur des instruments et des méthodes de production, mais sur l’ensemble de ce qui fait partie d’une appropriation vivante : la réappropriation est à comprendre comme une restauration de l’appropriation elle-même », cela éclaire ton propos. Mais, il me semble qu’une appropriation morte (ou une mauvaise appropriation) n’en reste pas moins une appropriation, même par opposition à une appropriation vivante.

[25 janvier]

Comme avec toute notion, on peut traiter celle de l’appropriation de deux façons. Soit on distingue plusieurs phases successives en elle, et on lui donne une portée quasi-éternelle, soit on la spécifie pour l’une des phases et on la refuse à l’autre. Autre exemple, très voisin, et par analogie : la notion de travail chez Marx, tantôt synonyme de catégorie anthropologique, tantôt spécifique au travail abstrait du capitalisme (débat rendu actuel par ce qu’en disent Postone et le Manifeste contre le travail).
Jusqu’à présent, tout le monde s’en est tenu à la première solution. Chaque époque possède sa propre forme d’appropriation de la nature, mais toutes les époques pratiquent l’appropriation de la nature. D’abord concrète et publique (pendant très longtemps), ensuite abstraite et privée (depuis 2 à 3 siècles). Cette approche était sans nul doute justifiée, et loin de moi d’ailleurs l’idée de la repousser. Non seulement ce qu’elle exprime me semble justifié, mais je crois même qu’il faut aller plus loin dans le même sens – ce qui peut paradoxalement déboucher sur une acception plus spécifique du terme.
Si nous voulons intégrer à la critique sociale, et assimiler en elle au moins partiellement, la position d’une « dialectique du vivant », cela ne peut se faire qu’en creusant les concepts critiques quand ils le permettent et quand ils le méritent. La notion d’appropriation en fait partie puisque, au-delà d’une appropriation au sens technique ou économique, elle relève d’une activité du vivant en général. Le vivant s’approprie (par fragments) son environnement et, de même que le mode de production caractérise une société, le mode d’appropriation caractérise un mode de vie animal (ou végétal). On peut sans doute aller jusqu’à comprendre une espèce animale comme étant un certain type d’appropriation du réel. Dès lors, le terme d’appropriation se présente comme parfaitement ouvert à une généralité qui dépasse de très loin ce que l’économie entend sous ce terme (et que les remarques à propos de l’appropriation « douce », par exemple esthétique, illustraient très bien).
Cette potentialité anthropologique du terme me paraît ainsi justifier de rapprocher l’appropriation concrète (pré-marchande) des formes d’appropriation vivantes en général, et d’en séparer l’appropriation abstraite comme ne relevant plus, à proprement parler, de la dialectique complexe de l’appropriation (vivante) ; et ce parti-pris de déplacer la frontière conceptuelle me semble se justifier du fait que le sujet agissant dans l’appropriation abstraite n’est plus une forme d’activité vivante, même aliénée, mais un sujet mort, la valeur, qui n’ingère plus ce qu’il « s’approprie ».
Mon choix, consistant à réserver la notion d’appropriation au vivant, est certainement très discutable mais je suis prêt à l’argumenter et à le défendre, non pas par hostilité au choix inverse (appropriation concrète / appropriation abstraite), mais parce qu’il me semble ouvrir des perspectives d’analyse et d’étude partiellement inédites. Les différentes impasses que produit la valorisation du monde tiennent précisément au franchissement de cette frontière conceptuelle, au remplacement de l’appropriation par autre chose (la valorisation).

[31 janvier 2005]

Le second point de ta lettre permet de lever mes réserves initiales. A la lumière de tes explications, je me rends compte que ce n’est qu’une question de terminologie. Désireux de bien montrer la spécificité logique et historique de l’appropriation abstraite (où le mort se saisit de vif), tu refuses de lui accorder la même dénomination, tout en reconnaissant que l’approche critique habituelle que je défends « reste sans nul doute justifiée ». Je crois en effet que l’époque actuelle, placée sous le signe de la confiscation du vivant, rend plus que jamais nécessaire de rappeler explicitement, simultanément au point de vue qualitatif original que tu exposes, la validité de l’ancien point de vue critique sur l’appropriation privative, en montrant ses développements ultimes au stade suprême de la domination réelle du capital.

[31 janvier 2005]

Je vois que nous sommes également d’accord pour la question de l’appropriation, mais là je le savais bien. Ma rupture terminologique est un peu abrupte, et j’essaierai de « négocier le virage » à l’avenir en montrant bien qu’elle est à sa façon la continuation d’un processus dont la critique était déjà entièrement valable. Autant il faut s’efforcer de ne pas rater de seuil qualitatif, autant il faut éviter de lancer des gadgets conceptuels.

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Notes pour MLG en marge de « La dialectique peut-elle juguler… »

Brice M.

Notes pour MLG en marge de
« La dialectique peut-elle juguler le dérèglement climatique ? »

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Je souhaiterais revenir sur une proposition de MLG, évoquée en passant, mais qui fait partie de ces remarques à longue portée qui méritent d’être relevées. Notre interlocuteur défend le dépassement qualitatif de la démarche scientifique, « et non son simple abandon, comme le laisse entendre un auteur comme Michel Bounan. » Je n’aborderai pas ici la question de savoir s’il n’est pas quelque peu métaphysique de parler de la démarche scientifique, comme si elle n’était pas aussi variable que les différents types de société qui en conditionnent la forme. La conception de l’univers des physiologoi est tout de même assez étrangère à celle qu’on s’en fait dans les laboratoires de l’INRA. Mais j’examinerai par contre dans les lignes qui suivent l’exacte nature de la contradiction qui oppose Bounan à la démarche scientifique moderne.
Tout d’abord, il n’est pas inutile de souligner ici, puisqu’il est question d’abandon de la science, que Bounan a commencé par publier, comme il le rappelle dans La vie innommable, « des articles “scientifiques” ». Paraissent ainsi dans plusieurs livraisons de la revue Homéopathie française, entre 1987 et 1989, Introduction à l’examen critique des fondements théoriques de la médecine classique, Les sensations pathologiques et leur signification et Fondements théoriques du traitement homéopathique des infections.
Ces articles exposent une critique scientifique des « justifications épistémologiques et méthodologiques » et des « catégories nosologiques » de la médecine classique (en prenant appui, s’agissant par exemple des sensations pathologiques, dont la valeur sémiologique est méconnue par la médecine classique, sur l’existence démontrée « d’aires végétatives viscéro-sensitives ») Ils constituent aussi une argumentation scientifique pro domo en faveur de certains aspects de la thérapeutique homéopathique, que, entre autres, les développements modernes des recherches en immunologie contribuent à éclairer.
Dans l’un de ces articles, Bounan expose ainsi son épistémologie : « après avoir rappelé l’objet de la science et de l’art médical, et considéré le contenu de cet objet, nous nous proposons d’examiner la genèse et le contenu clinique du concept de maladie ainsi que les relations précises qu’il entretient avec l’objet de la médecine. […] Nous verrons que les résultats de ces observations permettent de déterminer la place exacte occupée par la maladie dans l’ensemble du processus morbide, et du même coup, celle de la médecine classique fondée sur ce concept dans l’ensemble de la science médicale. Nous serons en outre plus à même de juger alors si l’exigence formulée par la médecine officielle de soumettre toute thérapeutique à ses propres concepts et déterminations méthodologiques, est scientifiquement recevable. » À moins de considérer, à l’instar de l’Académie des Sciences (instrument central de la propagande scientiste en faveur de tous les progrès de l’aliénation, qu’il s’agisse d’énergie nucléaire, de chimères génétiques ou d’agrochimie) qui prétend soumettre la thérapeutique homéopathique « à ses propres concepts et déterminations méthodologiques » que celle-ci n’est pas scientifique, ces articles suffisent à eux seuls à invalider l’affirmation que Bounan en appelle à l’abandon de toute démarche scientifique. Il convient d’ailleurs d’ajouter que la « dialectique du vivant » exposée dans Le Temps du sida constitue, à certains égards, un développement de quelques aspects déjà présents dans ces articles. C’est pourquoi Bounan était fondé à écrire dans La vie innommable que les critiques qui lui ont été faites (et qui continuent de lui être faites), aussi bien par des « radicaux » que par des journalistes médicaux ou autres, à propos du Temps du sida permettaient « d’en dissimuler les fondements scientifiques et leurs développements. » (p. 64) Pourtant, comme il l’a rappelé : « Le Temps du sida […] est assurément un ouvrage médical. Il s’efforce de reconnaître les causes d’une maladie nouvelle, individuelle et sociale ; de rattacher le tableau morbide à quelque chose de connu, c’est-à-dire de poser un diagnostic ; et de prévoir l’évolution ultérieure, ce qu’on appelle le pronostic. […] en tant que médecin, j’ai cru devoir présenter aussi quelques suggestions thérapeutiques. » (p. 58)
De manière plus générale, et pour en revenir à ce supposé abandon de la démarche scientifique, il me semble plus exact de dire que la théorie du sujet vivant (« la dialectique du vivant ») de Bounan est une critique, non pas de toute science, mais de la science marchande, mécaniste et réductionniste. D’ailleurs, une lecture soigneuse permet de relever que même cette critique radicale de la science des temps marchands n’est pas unilatérale. Bounan observe dans Le Temps du sida que « la Renaissance a ramené à la réalité la substance de l’univers, mais n’a pas permis la réappropriation simultanée du sujet du monde […] Le renversement amorcé par la Renaissance n’a pas été achevé. Cette perspective a dominé le développement scientifique moderne, les sciences physiques, la biologie, l’art médical actuel. Réussites et échecs y sont assurément liés à cet éclairage insolite. » (p. 25) Il en appelle à la nécessité d’achever le renversement de l’ancienne perspective religieuse que la science moderne n’a accompli que partiellement, en d’autres termes, non pas à l’abandon de la démarche scientifique mais à son dépassement qualitatif, ce que, dans sa propre terminologie, il nomme un nouveau « renversement épistémologique » (p. 26). « La science aussi est à réinventer. Les rêveries scientifiques de ce siècle ne sont que des sophismes. » (Le Temps du sida, p. 168) Cette réinvention ne manquerait pas de « susciter de nouvelles sciences : non seulement cette algèbre des passions, chère à Fourier, mais une biologie digne de ce nom, une science de la nature et de ses relations, une physique et une chimie partie prenante de ce mouvement ». (Ibid., p. 168)
La critique des postulats objectivistes de la science séparée, dont la méthodologie repose sur l’ignorance complète de la dialectique de la nature, est le préalable à tout « renversement épistémologique ». En effet, si l’on admet, comme le propose MLG, « que l’essentiel de l’héritage technique du capitalisme est vicié », il convient aussi de reconnaître qu’on ne peut ici séparer ces techniques de l’esprit scientifique étroitement historique, qui les a conçues. Un tel héritage technique est l’instrumentation précise sélectionnée par le système marchand pour son auto-reproduction et son extension universelle ; et la science qui en a permis l’élaboration n’est pas seulement une idéologie, mais une « idéologie matérialisée », « une Weltanschauung devenue effective, matériellement traduite. C’est une vision du monde qui s’est objectivée. » (Guy Debord) Pour prendre un exemple des plus actuels, comme l’expose un directeur de recherche à l’INRA, « l’économie politique du profit impose à la biologie appliquée à l’agriculture de dépouiller les plantes et les animaux de la faculté la plus fondamentale des êtres vivants, se reproduire et se multiplier ». Le réductionnisme moléculaire en biologie, un nouvel avatar de la “bête machine” cartésienne », en est le fondement scientifique (Jean-Pierre Berlan). Bien sûr, « pour un scientifique, l’idée que les influences politiques, idéologiques et économiques affectent le contenu objectif des faits et leur interprétation est anathème. Pourtant, la biologie est un cimetière d’idées scientifiques marquées, sinon déterminées, par ces influences. […] Les scientifiques devraient avoir conscience du rôle que leur assigne l’économie politique […] Nier a priori que les forces sociales exercent une influence sur les “vérités scientifiques” ne prédispose-t-il pas à tomber dans le piège qu’il faut éviter ? Ne vaudrait-il pas mieux avoir constamment à l’esprit que ces influences sont travesties et déguisées et qu’elles s’exercent par de multiples canaux pour tenter d’en prendre conscience et les éviter ? Après tout, le scientifique est une femme ou un homme dont on se demande par quelle grâce d’état elle ou il pourrait échapper aux influences de son époque. » (Jean-Pierre Berlan)
Si MLG ne confond pas, comme j’ai de fortes raisons de l’espérer, toute démarche scientifique avec le réductionnisme scientiste, et si, par ailleurs, l’on prend en considération que la conception développée dans Le Temps du sida et axée sur la reconnaissance de la dialectique du vivant, n’est pas une critique religieuse mais scientifique, bien que reposant sur des fondements épistémologiques non canoniques, de la « scientolâtrie » marchande, je l’invite à reconsidérer son interprétation du point de vue de Bounan sur cette question. En réalité, pour peu qu’on prenne la peine de lire de près ce qu’il a écrit, on ne peut manquer de vérifier que ce n’est pas Bounan qui laisse entendre la nécessité de l’abandon de « la » science, ce dont il s’est défendu de façon convaincante, mais plutôt que ce sont ses divers détracteurs, Nicholson-Smith, Quadruppani, Mandosio, Semprun, Dumontier et consorts, qui l’ont calomnié en le présentant comme un charlatan, un mystique ou un guénonien, en d’autres termes comme un obscurantiste pré-scientifique. Quant aux étranges motifs qui alimentent ce ressentiment durable, c’est une autre affaire. Bornons-nous ici à constater que nous voyons là à l’œuvre, en particulier du côté de la critique du monde existant, où tout de même on ne l’attendait pas, le même sophisme que celui qui permet de disqualifier les opposants à la dissémination des chimères génétiques, taxés d’obscurantisme parce qu’il s’opposent à la marche dévastatrice du progrès de la marchandise. Les mécanismes de cet amalgame sont connus depuis longtemps : c’est l’identification « totalitaire » de la science à sa forme marchande qui permet d’ignorer toute démarche scientifique reposant sur d’autres principes, de même que jadis c’est l’identification du communisme au stalinisme qui permettait de calomnier tous les révolutionnaires authentiques qui critiquaient la bureaucratie russe en les accusant par exemple d’hitléro-trotskisme.

Accessoirement, je ne peux pas non plus être d’accord avec MLG lorsqu’il suggère que Bounan méconnaît « le clivage de l’inconscient » dans le destin des pathologies. La prise en compte de cet aspect est permanente dans Le Temps du sida aussi bien que dans La vie innommable. Bornons-nous à citer ceci, qui est suffisamment éclairant dans sa généralité théorique : « L’activité mentale est la face intime du vivant. Elle participe toujours à la réaction morbide. Ses perturbations correspondent à celles des structures physiques. Elles sont, comme elles, réactionnelles et défensives, et chacune témoigne de l’autre. Il n’existe assurément aucun trouble psychique sans perturbation physiologique associée (nerveuse, endocrinienne, vasculaire, métabolique), ni aucune affection organique sans symptômes subjectifs. » (Le Temps du sida, p. 97)

Le 23 janvier 2005

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La production de l’étrangeté

Renaud d’Anglade

La production de l’étrangeté

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En réponse à La dialectique peut-elle juguler le dérèglement climatique ?

Je ne reviens dans ce qui suit que sur les éventuels écarts entre la position de MLG et la mienne, et non sur les nombreux points sur lesquels nous sommes d’accord.

1. La généralisation du modèle biologique (d’une « dialectique du vivant ») à l’histoire des sociétés humaines pose en effet de multiples problèmes, mais c’est bien de cela qu’il s’agit de discuter à propos d’un auteur comme Michel Bounan. Ici n’est pas la place pour développer ce sujet, nous aurons sûrement l’occasion de le faire par ailleurs, mais en tout cas il me semble utile de ne pas se méprendre là-dessus et de ne pas prendre ce raisonnement pour une simple « métaphore biologisante » (pour une sorte de maladresse logique) : il ne s’agit pas du tout d’une métaphore, mais d’une volonté explicite de synthèse théorique (qui a valu à Bounan le reproche immérité de se ranger parmi les tenants de la « Tradition »). En pareil contexte, la science du vivant n’est pas une métaphore pour la science historique qui lui resterait étrangère mais la science historique n’est qu’une métonymie (inadéquate) d’une science du vivant qui la contient.

2. Le caractère « malade » de la société ne réside pas, pour moi, dans les désordres et les catastrophes que l’on commence à voir s’accumuler. Croire cela, ce serait devenir un écologiste, et ce serait effectivement tomber dans une « métaphore biologisante » : la société serait un être vivant qui était jadis en bonne santé et qui est tombé malade au bout d’un moment. Telle n’est pas du tout ma position, bien au contraire : si je me suis référé à la publication de l’ancien article de Debord, c’est bien parce que cet article présente la « maladie » de la société comme sa division (en classes). La société est malade en tant que société de classes, et depuis qu’elle l’est. Son évolution catastrophique la plus récente n’en est qu’un syndrome paroxystique.

3. « L’idée d’une croissance aliénée n’est pas présente chez Marx » nous dit-on. MLG a bien sûr raison de conclure ainsi si l’on cherche dans Marx une description du pourrissement de l’appareil productif et de celui du produit marchand lui-même (puisqu’il s’agit des deux pourrissements simultanés et homologues, comme il le rappelle justement). Cette description était simplement impossible, inimaginable, à l’époque de Marx. Mais le concept de croissance aliénée, lui, me paraît fortement présent chez Marx. Tellement présent que c’est lui, et lui seul, qui permet de comprendre ce qui nous arrive . Il me paraît de ce fait peu justifié de parler d’une greffe de ce concept, réalisé a posteriori, sur la dialectique historique marxienne. Cela ressemble plus, à mon avis, à une sorte de développement inattendu mais logique du concept d’aliénation. Mais entre la greffe et le développement inattendu, existe-t-il une véritable différence qui mériterait une savante disputatio ? Rien n’est moins sûr. Après tout, il y a des greffes qui prennent bien, pourvu qu’elles soient compatibles avec l’arbre. Celle-ci, en l’occurrence, me paraît très compatible. Si Marx concevait clairement que la croissance se fait dans l’aliénation et ne peut même se faire que dans et à travers l’aliénation (schéma que les léninistes exploiteront jusqu’à la trame : le prolétariat des pays attardés doit reprendre à son compte la tâche historique de l’accumulation qui incombe « normalement » à la bourgeoisie, et donc mettre en place le régime bureaucratique dont il est la principale victime), le moment même où l’aliénation imprime en profondeur sa forme et son contenu aux forces productives n’est certainement pas le moment où il convient d’en abandonner le concept – tout le monde en conviendra sans peine. Ce n’est pas que notre ami MLG veuille en abandonner le concept, il pense plutôt qu’il y a une discontinuité historique qui fait tout d’un coup apparaître ce concept comme un concept neuf. C’est avec cela que je ne peux être d’accord.

4. « L’unification de la critique n’a pas eu lieu ». Personne d’entre nous (et même dans un milieu beaucoup plus large) n’est ni ne peut être insensible au phénomène que MLG décrit. « C’est la critique du monde qui est en crise », écrit-il pour le résumer. Qui peut avancer le contraire ? Mais à partir de ce constat, deux orientations se séparent (sans pour autant être incompatibles, loin s’en faut) : on peut attribuer ce constat amer à des insuffisances théoriques, au sens où par exemple la critique aurait remâché sans fin d’anciennes certitudes sans être suffisamment attentive à ce qui se produisait de nouveau dans le réel ; on peut aussi invoquer les échecs pratiques des vagues révolutionnaires successives, et expliquer la paralysie théorique par les impasses pratiques (au sens où l’on ne peut théoriser que ce qui existe, au moins de façon embryonnaire ou tendancielle, et où l’on perd son temps, comme l’ont fait certaines sectes d’ultra-gauche, à ratiociner sur des situations qui restaient purement fictives). Je ne vais pas citer nommément l’ensemble des mouvements, revues, groupuscules et individus dont la prise de parole, actuellement, tourne autour de ce roc. On peut du reste y classer les Amis de Némésis aussi, car je ne crois pas que l’un ou l’autre parmi nous aille jusqu’à nous imaginer quelque privilège en la matière. Mais le constat que la critique est en crise est une chose, une autre est d’orienter le débat et la réflexion de façon à reconstituer, au moins dans ses grandes lignes, l’unité de la critique. Pour ce faire, me semble-t-il, il convient notamment d’effectuer la critique positive des différentes tendances, extraire d’elles leur noyau rationnel – c.a.d. esquisser le travail que seule la pratique révolutionnaire accomplit réellement, quand elle prend son essor.

5. La question de la complicité des individus est posée de façon répétée. Disons-le tout de go : ce n’est pas parce que je repousse le plus fermement possible les sophismes démoralisateurs d’une idéologie anti-consumériste (le moralisme écologiste) que je serais aveuglé et ignorant de l’état de décomposition grave dans lequel se trouve l’individu contemporain en tant que producteur et que consommateur de spectacle. Il n’y a pas une phrase de MLG là-dessus (ou de Debord, ou de Bounan, ou d’Anders) à laquelle je ne souscrirais pas avec le plus grand empressement. Il faut seulement se mettre d’accord sur l’angle sous lequel on regarde le phénomène. Ou bien on le regarde sous l’angle de la conservation de la société dominante, et dans ce cas, il faut s’acharner sur le sujet marchand, lui attribuer tous les méfaits, le soumettre à une pression morale intense, le flageller en place publique : ces deux éléments (cette réponse et cette perspective) sont étroitement liés. Ou bien, et là aussi il me semble qu’il y a une grande cohérence dans ce qui suit, on regarde tout cela sous l’angle de son abolition révolutionnaire, et là on est forcé de comprendre que la racine du mal est dans le système de sujétion et non dans l’individu assujetti : et tout le reste du raisonnement en résulte. Notamment que dans l’hypothèse d’un mouvement de remise en cause de l’ordre dominant, la complicité disparaîtra du même coup (la remise en cause étant par essence, sur le plan subjectif, le refus de cette complicité). On peut sans doute dire que le niveau de reflux de cette complicité sera le baromètre précis et fiable du degré de la remise en cause.

6. Ai-je eu tort de parler de « niveau de vie individuel » ? Mon intention n’était certainement pas de rapprocher le quidam du baron Seillière (car ce serait fort infamant pour le quidam) et je sais bien que la réalité socio-économique se charge suffisamment efficacement de les maintenir soigneusement à distance. Je pensais à un indicateur économique classique permettant par exemple à l’INSEE de répartir les personnes selon leur niveau de vie, de sorte que « en 1997, les niveaux de vie individuels [c’est moi qui souligne] s’échelonnaient dans un rapport de 1 à 3,4 entre les 10 % les moins aisés de la population et les 10 % les plus aisés, les premiers disposant de moins de 3 800 francs par mois et par unité de consommation, les seconds de plus de 12 900 francs » (INSEE Première, Comment se détermine le niveau de vie d’une personne, n° 798, juillet 2001). Quand je parle de « réduire le niveau de vie », je me soucie exclusivement de ce que cela peut vouloir dire pour le gros de la population (par exemple : se priver de réalités qui sont essentielles à mener une « bonne vie », comme disait Aristote, ou se priver d’imbécillités marchandes dont l’absence relève du bienfait). C’est aussi simple que cela.

Un point enfin parmi ceux avec lesquels je suis en plein accord, et que je souligne parce qu’il m’a paru spécialement bien pensé et formulé : « une Nature altérée est encore plus redoutable qu’une Nature sauvage ». Sous une forme ramassée, cette formule concentre beaucoup de vérités. Le progrès accompli par l’homme a été au-delà de son objectif (se concilier les forces naturelles) ; il a débouché sur le contraire : sur l’accentuation du caractère hostile des forces naturelles. Le point de vue de la domination et de l’exploitation, inhérent à la pratique sociale aliénée, provoque ce qu’on peut percevoir naïvement (ou de façon plus ou moins « mystique ») comme une « révolte » de la nature qui réagit contre sa « maltraitance ».
Simultanément, la pratique sociale aliénée niait ce qu’il y a de naturel en l’homme (ses pulsions, son équilibre, sa résonance avec tout ce qui l’entoure, le caractère illusoire d’une existence monadique) alors même qu’elle réduisait pourtant l’homme à une réalité « naturelle » (à une matière première exploitable dans le travail et dans la consommation), l’homme étant ainsi, dans un même mouvement, dépossédé de sa réalité d’être naturel   et transformé en substrat « naturel » du système de l’aliénation : ces deux aspects réunis dans leur unité contradictoire imposée expliquent le caractère forcément catastrophique du résultat.
Si l’activité pratique de l’homme consiste dans la négation déterminée de la nature (il la réfléchit en la transformant), la forme déterminée du résultat reflète forcément le sujet réel de la détermination en actes, en l’occurrence le processus d’aliénation comme « moteur de l’histoire » (ce que Bounan appelle « le noyau inducteur »), c.a.d., depuis plusieurs siècles, le mouvement de la valeur autonomisée. Ce n’est plus une force vivante, elle-même issue de la vie naturelle et en faisant toujours partie, qui transforme la nature mais la puissance d’une entité morte, la valeur, qui plie la nature à sa tyrannie.
L’étrangeté (au sens d’être-étranger) qui couvait à l’intérieur même de la société aliénée exacerbe l’étrangeté des forces naturelles, de sorte que si celles-ci paraissent de plus en plus étrangères, il ne s’agit plus à proprement parler de leur étrangeté propre mais de celle de l’aliénation sociale, donnant ainsi raison à ce triste bilan : « L’occultation de la vie en chacun de nous a bien entraîné la disparition du sujet de l’Histoire et l’effondrement de toute vie en général. Notre époque peut ainsi vérifier – pour s’en désoler – la parfaite identité, jadis reconnue, entre le sujet vivant individuel, le sujet de l’Histoire et le sujet du monde »  .
On ne peut plus parler d’appropriation de la nature dans la mesure où l’appropriation implique l’idée qu’elle ait un sujet vivant. Or, l’appropriation du monde par la valeur équivaut finalement, après un assez long trajet fait apparemment en commun, à une opposition radicale entre la perspective de la valeur et la perspective de l’homme, et à une véritable désappropriation du monde par l’homme. Nous touchons indéniablement à l’époque où cette logique aboutit et se révèle au grand jour, dans tous les phénomènes observables. C’est le caractère tranché voire apocalyptique de ce résultat qui alimente chez certains une tonalité messianique ou « civilisationnelle », mais on ne conquiert le droit de les critiquer que par une compréhension non réductrice du phénomène.
La notion d’appropriation mérite elle-même d’être précisée et approfondie, le terme à lui seul n’évoquant plus rien de convaincant à une époque où, depuis longtemps, le sens de l’avoir a si efficacement remplacé tous les autres sens. Schématiquement : il ne sert à rien de se servir de ce terme si l’on n’inclut pas dans sa signification qu’il désigne un mouvement bilatéral par lequel un être vivant s’incorpore un fragment de son environnement et par lequel cet élément continue à exister en lui et le transforme lui-même. La notion grecque de πραξις désignait fort bien cette unité, par opposition à celle de ποιεσις. C’est en transformant (en absorbant, en niant, en détruisant) le monde que le sujet devient coextensif au monde, que le monde renaît en lui (de façon transformée). Il est bien clair que cette logique contradictoire, qui n’a été mise en place ni par quelque logicien aristotélicien ni par une divinité bienveillante, offre de multiples possibilités de dérapage. Construire la dénégation de ces possibilités de dérapage est l’opération qui caractérise toutes les idéologies et les morales qui veulent ignorer le processus de négation à l’œuvre, abstraitement, au lieu de le comprendre comme détermination, concrètement. Le système de valorisation du monde (d’appropriation par la valeur) proscrit par essence un double mouvement de cette espèce. En effet, la valorisation transforme de façon unilatérale et unidirectionnelle un fragment de réel en fragment de valeur, sans que la valeur elle-même soit à aucun moment affectée (ou affectable) par le réel qui entre dans son entretien et dans sa reproduction. On pourrait injecter la réalité entière dans la valeur que la valeur serait encore inchangée, égale à elle-même, égale à sa foncière irréalité. En absorbant le réel, elle ne vieillit pas, elle ne le comprend pas, elle n’en jouit pas, elle ne devient pas intelligente, elle ne devient ni belle ni laide, ni salée ni sucrée, ni claire ni sombre, ni alerte ni fatiguée, ni gaie ni triste : elle se perpétue et s’accroît (elle se perpétue du fait de s’accroître). Ce caractère irréel, totalement imperméable au réel, figure déjà dans les descriptions les plus élémentaires que Marx donnait de la valeur, mais on ne les a sans doute pas suffisamment prises au sérieux.
Du fait d’affecter l’être vivant qui le nie, le réel continue à exercer son pouvoir : le sujet de la négation fait partie du réel, comme aussi ce qui constitue sa relation à son objet. Du même coup, les deux catégories (sujet et objet) ne valent que cum grano salis, car on pourrait disserter à perte de vue pour déterminer si c’est le sujet qui contient l’objet ou l’objet qui contient le sujet (le fruit est là pour être mangé, il implique celui qui le mange). Le caractère complexe qui caractérise cette relation vivante disparaît totalement avec la valorisation : la valeur est un résultat qui se moque de son processus. Tout disparaît en elle, selon elle, sans laisser de traces, mais considéré sous l’angle de la réalité, cela se fait plutôt en laissant des traces extraordinairement envahissantes. Le caractère non biodégradable des déchets donne une illustration assez convaincante du phénomène, comme aussi le résidu intellectuel et affectif d’un individu entièrement piloté par le spectacle : il s’agit d’une forme positive, pléthorique, de désert, telle qu’on ne l’avait jamais imaginée jusqu’alors.
L’ancienne idée d’une réappropriation du monde ne porte donc pas, spécifiquement, sur des instruments et des méthodes de production, mais sur l’ensemble de ce qui fait partie d’une appropriation vivante : la réappropriation est à comprendre comme une restauration de l’appropriation elle-même. On peut aussi la définir comme le rétablissement du lien vivant inhérent à l’appropriation naturelle, mais au-delà du besoin et de la pénurie. Dans l’hypothèse favorable où l’humanité parviendrait un jour à accéder à ce stade (qui, quoique hypothétique, est la seule alternative à l’achèvement de la dépossession et aux catastrophes qui l’accompagnent), elle aurait établi une logique naturelle au-delà des contraintes naturelles : elle aurait transformé la nature en émancipant une promesse qui lui était depuis toujours inhérente. Voici en tout cas ce que nous et nos descendants avons à perdre – en échange d’un néant qui ne cesse d’empirer.

Le 20 janvier 2005

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La dialectique peut-elle juguler le dérèglement climatique?

MLG

La dialectique peut-elle juguler le dérèglement climatique ?

Réponse à Renaud d’Anglade

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Quelle extension doit-on accorder au concept de maladie ? Plus précisément, quel avantage ou quel intérêt y a-t-il à étendre ce concept de la sphère organique à l’univers social ? A première vue, cet avantage paraît contradictoire : d’un côté, il va dans le sens d’une mise en évidence des homologies croissantes entre les perturbations, les altérations et les lésions dans la sphère biologique et les formes de domination, d’aliénation et d’oppression dans le monde social ; d’un autre côté, homologie n’est pas identité et la tentation de glisser de l’une vers l’autre requiert quelques réflexions. Le concept de maladie a comme milieu d’origine le monde organique et ses vicissitudes ; il épargne en principe le règne minéral, lequel se trouve simplement affecté de lentes décompositions naturelles, auxquelles s’ajoutent aujourd’hui de brutales modifications artificielles inductrices de pathologies pour le milieu vivant. C’est ainsi que dans un sol passablement chamboulé et minéralement modifié par les engrais de synthèse, plastiquement comprimé par le passage de trop lourds engins agricoles et stérilisé par la pharmacopée chimique, il n’y a pratiquement plus d’activité microbienne : le milieu est devenu ouvertement hostile à la vie.
En ceci on peut parler, comme Guy Debord en 1971, de planète globalement malade, au sens où la biosphère y apparaît désormais menacée. De la planète malade, on est renvoyé à la société qui rend malade, ou à ce qui, dans la société, rend malade. Un livre récent et bien documenté qualifie à juste titre notre société de cancérigène . La qualifier en revanche de cancéreuse est une métaphore biologisante qui ne semble pas aller de soi. Emancipé de l’hégélianisme, le concept d’aliénation conduit, en théorie sinon en pratique, à celui de transformation sociale sous l’égide de la conscience. Celui de société malade risque plutôt de conduire à celui de régénérescence. D’ailleurs, au nom de quoi la société d’aujourd’hui, celle en passe de basculer dans le capitalisme total, peut-elle être qualifiée de malade ? Au nom de l’ancienne société bourgeoise, celle dont les humanistes arrivaient encore à croire qu’elle parviendrait à s’auto-réformer, et que pour finir elle irait, après des débuts sanglants, dans le sens de l’amélioration générale ? Ne risque-t-on pas alors de prescrire un retour à un état général moins perturbé, à un stade du capitalisme plus souverainiste, etc. ?
Une autre raison de se méfier des rapprochements entre société et organisme vivant est qu’ils me paraissent aller dans le sens de cette philosophie naturelle du capital, celle qui considère avec émerveillement l’économie et son fonctionnement comme une totalité organique. Comme l’humanisme classique n’a désormais plus cours, que les vieilles utopies bourgeoises sont devenues risibles en regard de la dynamique du capital, que le sens supposé de l’activité économique a basculé dans le non-sens, il ne reste plus qu’à adorer la chose pour elle-même et lui conférer toutes les beautés du vivant, et aussi ses fragilités : n’y touchons pas, sinon elle se dérègle ! L’ex-ministre Ferry a écrit des pages burlesques sur le sujet.
Un des aspects de l’assimilation de la société à un organisme vivant est aussi la substitution de la notion de civilisation à celle de société. Comme le rappelle à juste titre le deuxième article de D’Anglade, il s’agit moins d’une invention que d’un retour à des conceptions anciennes du devenir comme corruption dont un philosophe comme Platon fut un bon interprète et qu’un auteur comme Michel Bounan ravive aujourd’hui à partir de questions médicales. Renaud d’Anglade n’a évidemment pas tort de relever que cette histoire civilisationnelle ne s’accorde pas précisément avec la dialectique marxienne des forces productives et rapports de production – dont l’un des attributs est le primat du concept de société sur celui de civilisation ; pas plus d’ailleurs que la critique de la société industrielle ne s’accorde d’emblée avec la critique marxienne du capitalisme.
Là-dessus je dirais surtout ceci. On peut considérer que tous ces glissements sont tantôt l’expression d’une « cohérence potentiellement défaillante », tantôt la manifestation d’un affaissement de l’esprit dialectique et d’une contamination par les morales du ressentiment, au sens de Nietzsche. Mais l’affaissement de la dialectique forces productives – rapports de production me paraît tout sauf de nature subjective, et, dans sa réponse, Brice M. s’en fait l’écho lorsqu’il écrit qu’il « devient difficile de distinguer la croissance aliénée des forces productives des forces productives elles-mêmes ». D’autant plus que cette idée d’une croissance aliénée n’est pas présente chez Marx, et qu’elle doit donc être greffée sur la dialectique marxienne. Or je maintiens, ainsi que je l’avais avancé il y a deux ans sur ce même site, qu’une telle greffe ne va pas de soi et qu’elle est plus lourde de conséquences que ce que Renaud d’Anglade laisse entendre. Croissance aliénée des forces productives signifie que l’essentiel de l’héritage technique du capitalisme est vicié, avec tout l’effet de brouillage qui en résulte sur la perspective de la réappropriation, laquelle ne peut plus être cantonnée à la seule dimension sociale et prend aussi un caractère technique. Or un des aspects non négligeables, et même essentiels, de l’espoir marxien résidait dans le caractère globalement favorable de l’héritage technique du capitalisme. « Il est clair que Marx ne pouvait anticiper le degré d’anéantissement et d’empoisonnement que seule l’époque contemporaine allait par la suite infliger à la planète » écrit Renaud d’Anglade. Nul ne songe d’ailleurs à le lui reprocher ; au demeurant l’idée lui est venue à l’esprit mais, à ma connaissance, à propos de la seule agriculture et du sol. De toute façon, l’important est moins un manque d’anticipation en la matière que la reconnaissance rétrospective que l’empoisonnement n’est pas réductible à la « seule époque contemporaine » : l’accélération des modifications artificielles et dommageables de la biosphère – la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère, par exemple – est déjà contemporaine du milieu du 19ème siècle avec le développement de la grande industrie. Simplement l’accélération de la pollution a d’abord eu sa source dans la sphère de la production, avant de se voir amplifiée par celle de la consommation.
« La croissance des forces productives a changé de sens au cours de son histoire. Changé de sens, non pas tant du point de vue du capital que de celui de la réappropriation révolutionnaire […] L’idée que les forces productives accumulées par le capitalisme industriel sont très aisément reprenables par le projet de la propriété commune aura été la toile de fond de toute l’histoire sociale européenne jusque dans les années 1960 […] Aujourd’hui, le projet de l’expropriation des expropriateurs est devenu inséparable d’une mutation technologique fondamentale, ce qui est une situation bien nouvelle par rapport au 19ème siècle et dont on aurait, à mon avis, tort de minimiser la portée ». J’extrais ces phrases d’un texte de réponse aux auteurs du Passé composé et publié par Les amis de Némésis au printemps 2003.
Renforçant le sens jugé positif de la croissance des forces productives, un autre aspect de l’espoir marxien résidait dans l’idée que la dynamique du capitalisme allait dans le sens d’une unification de sa critique et d’une vision universalisante de son dépassement. La conception dite « dialectique » et « scientifique » du socialisme devait à terme supplanter les diverses doctrines et approches dont le Manifeste de 1848 donne l’énumération : diverses formes de « socialisme réactionnaire », d’inspiration aristocratique ou petite-bourgeoise ; ensuite « le socialisme bourgeois », d’inspiration philanthropique et humanitaire, cherchant à escamoter l’incompatibilité entre « l’existence de la bourgeoisie et l’existence de la société » ; enfin les différents courants des « socialisme et communisme utopiques et critiques », auxquels les auteurs du Manifeste reconnaissent une indéniable puissance critique de « la société existante dans tous ses fondements » en même temps qu’une totale cécité quant à la « spontanéité historique » du prolétariat dont ils ne voient que « le seul aspect de la souffrance extrême » ; les utopistes en viennent à préférer aux soulèvements ouvriers leurs « inventions personnelles », « leur fiction d’une organisation de la société », « la propagande et la mise en pratique de leurs plans de société », lesquels, selon Marx et Engels, sont voués à l’échec car manquant d’objectivité historique.
Inutile d’insister sur le fait historiquement incontestable que le dépassement de ces divergences d’ordre théorique, politique et esthétique n’a pas eu lieu, loin s’en faut ! Pire encore, c’est aujourd’hui l’objet de la critique qui tend à se fissurer : comme vu précédemment, une certaine hésitation, ou substitution entre société capitaliste et civilisation marchande est apparue ces quinze dernières années, pendant que du côté de la seule société un glissement s’est effectué à propos de la détermination qu’il convenait de lui attribuer : marchande et capitaliste, ou essentiellement industrielle. A l’origine de ces glissements et fissures, on peut, si l’on y tient, conjecturer diverses formes de dérapage insidieux, de renoncement, de soumission, de trahison, de ressentiment ou de maladie mentale. C’est à mon sens mal poser le problème. Au-delà des polémiques et des anecdotes, c’est la critique du monde qui est en crise. En trente ou quarante ans, la réalité est devenue science-fictionnelle et toutes les questions théoriques ont désormais comme toile de fond le devenir hostile de la planète à l’égard de l’espèce humaine et la possible extinction de cette dernière. Si pour ma part je continue de penser que la logique de la valeur reste en dernière instance la force inductrice du désastre, celui-ci n’en découle pas moins d’un certain nombre de médiations toujours aptes à agir de manière relativement indépendante.
Dans cet ordre d’idées, s’il est parfaitement justifié de critiquer le caractère moraliste et insuffisamment politique de la notion d’ « empreinte écologique » , s’il est en effet aberrant de substituer, en tant que cause du désastre, l’homme abstrait à l’organisation sociale, on aurait pourtant tort de minimiser le degré de complicité ou de participation écervelée des individus réels à ladite organisation. « N’est-on pas en train de nous refaire le coup du consommateur qui serait responsable de la médiocrité des programmes de télévision et de tout le reste aussi ? » . Responsable, sans doute pas, mais complice, à coup sûr ! Et, à mes yeux, ce degré de complicité, potentiellement variable, détermine, pour une très grande part, la nature fréquentable ou non de quelqu’un. Quant à la télévision, les habitués de la chaîne la plus regardée de France auront été récemment informés que les programmes dont ils se repaissent ont pour fonction première de dégager « du temps de cerveau humain disponible » pour la manipulation marchande, puisqu’il s’avère qu’en cet étrange début de millénaire les PDG des puissances médiatiques rejoignent la critique radicale quand ils parlent clairement. L’honnête téléspectateur, le loyal collaborateur du spectacle n’en ont pas, que je sache, changé leurs habitudes vespérales, ni amené leur récepteur à la casse.
Parmi les idées qui sont non pas devenues fausses ou obsolètes mais résonnent de façon quelque peu dissonante et surtout laissent dans l’ombre bien des aspects de la situation présente, il faut s’arrêter un instant sur celle-ci : « le retour à soi médiatisé par la maîtrise de la nature ». A ce sujet, Renaud d’Anglade précise : « rien ne justifie de confondre l’appropriation du vivant par le vivant avec une forme aliénée, morte, de cette appropriation », avec une appropriation privative, dirons-nous. Il n’empêche que le caractère privatif de l’appropriation historique du monde par l’humain aura fini par ne plus laisser subsister que le caractère privatif, marchand, capitaliste et aura fait voler en éclats l’appropriation, laissant place à une Nature altérée, encore plus redoutable qu’une Nature sauvage, et à un type d’individu pour qui l’appropriation n’aura bientôt plus aucune autre dimension que celle d’enclencher d’innombrables prothèses qui finiront de le rendre infirme et idiot. En regard d’un cueilleur du paléolithique ou d’un cultivateur néolithique, dont la connaissance pratique du monde environnant était la condition même de son être et de son existence, l’individu postmoderne barbote dans un univers magique, saturé d’objets manufacturés. Et on ne peut pas dire que ce dont il est privé en tant qu’individu lui revient en tant qu’être social. Disant cela, je n’enfourche pas la monture écologiste de « l’accord entre soi et le milieu »   que j’estime, moi aussi, par trop statique et anhistorique. Mais lorsque l’appropriation active du milieu se confond avec un tel niveau de destruction, qu’un nombre croissant de ces destructions apparaissent de moins en moins réversibles, qu’un tel état du monde, loin de préparer objectivement la possibilité de l’abondance matérielle et du dépassement du travail, ne laisse la porte ouverte, dans le meilleur des cas – celui où les catastrophes artificielles ne prendront pas le dessus – qu’aux utopies que le « socialisme scientifique » avait cru dépasser, je ne suis guère emballé, ni convaincu de l’opportunité d’attaques contre un supposé ramollissement de l’esprit dialectique. Car c’est, me semble-t-il, la réalité qui est dialectiquement affaiblie. Et si quelques perspectives sont encore susceptibles de surgir, il faudra aussi que le souci de « la cohérence logique » laisse la possibilité à des sensibilités nouvelles de se faire jour et de s’exprimer, avec ce que cela entraîne parfois de momentanément incohérent. Concernant la rubrique de la cohérence, je n’entends nullement passer par pertes et profits la question à mon sens toujours cruciale de la propriété . Par contre, j’en suis arrivé à penser qu’elle n’est pas nécessairement solidaire de ce qu’il faut quand même bien appeler un certain progressisme technologique. Dans un texte d’avril 2003 déjà évoqué, je proposais ceci : « Plutôt que de considérer qu’artisanat implique nécessairement régime de la petite propriété individuelle, on pourrait aussi réfléchir à la manière dont les méthodes et les produits de l’activité artisanale pourraient s’intégrer dans une production intégralement socialisée. Car on ne voit pas pourquoi une activité industrielle pourrait être émancipée des rapports de production capitalistes, tandis que les méthodes artisanales resteraient irrémédiablement soudées à un régime particulier de propriété. »
Je n’ai pas particulièrement réfléchi à la question de savoir si une telle perspective serait ou non synonyme de « baisse programmée » du niveau de vie individuel » . Je pense que la vie dans son ensemble pourrait y être qualitativement bien différente, et préférable. Mais je suis surtout étonné de la manière dont cette question surgit dans le propos de Renaud d’Anglade, et les manuels de « critique d’économie politique » dont je dispose ne m’ont pas renseigné sur ce qu’est le « niveau de vie individuel », même au simple plan national. De quel individu s’agit-il ? Du Rmiste ? Du salarié précaire qui, tout en travaillant, dort sous les ponts, faute de pouvoir louer un logement devenu exorbitant ? Du classe « moyen-moyen », ou « moyen-supérieur » ? De monsieur le baron Seillière ? De toute évidence, dans une perspective éventuelle de « baisse programmée du niveau de vie individuel », certains individus y auraient plus à perdre que d’autres qui n’y hasarderaient que la perte de leurs chaînes et de leur misère. Renaud d’Anglade semble pourtant bien conscient de cela lorsqu’il dénonce, quelques lignes plus bas, l’idée selon laquelle « la richesse des nations serait la richesse des propriétaires et celle de la population ». Mais, pour le coup, on comprend encore moins cette affaire de niveau de vie individuel, sans même parler de sa position à l’échelle planétaire .
J’achève cette communication pour dire mon accord  à propos de la captivité de la démarche scientifique et de la perspective de son dépassement qualitatif, et non son simple abandon, comme le laisse entendre un auteur comme Michel Bounan . Et aussi, pour en revenir au thème initial – la maladie : je pense aussi que l’échec de la réaction vivante face à la maladie n’est pas réductible à une situation où « les facteurs pathogènes débordent les défenses du sujet malade » (Bounan) et que le vivant, sous sa forme humaine, est également agi par le clivage de l’inconscient qui est tout sauf neutre dans le destin des pathologies.

Le 15 janvier 2005

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