La maîtrise du climat comme perspective ou comme fantasme

Cette question ressort d’un projet connu outre-Atlantique sous le nom de H.A.A.R.P., qui a suscité ces temps-ci un certain nombre d’inquiétudes et de dénonciations dans son pays d’origine. En Europe, bien que le groupe des Verts au Parlement européen se soit discrètement saisi de l’affaire, la connaissance de H.A.A.R.P. et la prise de conscience de ses implications ne semblent pas, pour l’heure, aller au-delà d’un très petit nombre de personnes lucides et informées. On trouve pourtant, publiés sur l’Internet, un bon nombre de documents, au demeurant d’intérêt variable, qui traitent de ce projet, dont certains en langue française. Les considérations qui suivent s’appuient principalement sur le travail de Luc Manpaey[I] et sur le rapport de Rosalie Bertell, distribué lors de l’audition publique au Parlement européen du 5 février 1998[II].

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En apparence, la question du climat et de son appropriation techno-marchande n’est pas l’enjeu principal du programme HAARP. Elle s’en détache pourtant sous la forme de supposés bienfaits pour la société civile de ce qui est d’abord, à n’en pas douter, une recherche d’ordre militaire. La maîtrise du climat y fait simplement figure de bénéfice secondaire, ou plutôt de produit dérivé[III] qui serait, si le programme parvenait à ses fins, analogue à ce que le nucléaire civil est au militaire. A vrai dire, si l’on s’en tient à la communication officielle diffusée au sujet de HAARP, celui-ci ne serait même qu’un innocent programme de recherche fondamentale en vue d’une meilleure connaissance des phénomènes à l’œuvre dans cette partie de la haute atmosphère connue, depuis les années 1930, sous le nom de ionosphère. Mais les auteurs précédemment évoqués n’ont pas manqué de débusquer, derrière cet alibi officiel, une initiative d’ordre stratégique, tant défensive qu’offensive, laquelle s’inscrit dans la continuité d’un grand nombre de projets ou d’expérimentations militaires menés par les Etats-Unis depuis la fin des années 1950[IV]. Pour l’heure, la chose se présente donc sous la forme d’une pure recherche scientifique, dont la finalité technique immédiate est, de toute évidence, d’ordre militaire, mais laissant présager une exploitation marchande à court ou moyen terme.

Les techniques de modification de l’environnement à des fins militaires constituent un secteur de la recherche sur lequel n’existent que de maigres informations qui doivent, en quelque sorte, être reconstituées par recoupements, car elles tendent à se dissimuler derrière d’autres projets. Pourtant, note Luc Manpaey, « aux Etats-Unis, dès les années 1950, des rapports ou déclarations officielles reconnaissaient l’intérêt militaire des techniques de modification des conditions climatiques […]. Depuis, les recherches en direction d’une maîtrise et d’une manipulation des éléments naturels n’ont jamais cessé. Tout au plus, la Convention de 1977 sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles a-t-elle ralenti l’allure des travaux, ou du moins leur publication »[V]. Bien que discrètes, certaines sources d’information restent d’ailleurs publiques, comme cette étude baptisée Air Force 25, dont l’un des rapports s’intitule : Weather as a Force Multiplier : Owning the weather in 2025.

Présenté officiellement comme une pure recherche scientifique, mais en réalité sous contrôle exclusivement militaire[VI], le programme HAARP – High Frequency Active Auroral Research Programm ¾ s’inscrit de toute évidence dans ce regain d’intérêt pour les techniques de manipulation environnementale, observable aux USA depuis le début des années 1990. L’un des objectifs de HAARP vise à garantir l’infaillibilité des systèmes de télécommunications et de la maîtrise de l’air et de l’espace. D’où l’intérêt pour cette zone précise de la haute atmosphère, située au-dessus de la stratosphère à une altitude comprise entre 60 et 500 Km de la surface terrestre et constituée de particules ionisées hautement chargées en énergie : l’ionosphère[VII]. Dans le programme HAARP, la recherche s’effectue au moyen de manipulations locales sur la couche ionosphérique à partir d’une gigantesque installation de 48 émetteurs sur un site localisé en Alaska et nommé Gakona. Notons en passant que l’endroit recèle d’immenses réserves gazières et pétrolières appartenant à une société connue sous le nom d’Arco, également propriétaire des brevets technologiques de HAARP et jouant, dans cette affaire, le rôle de financier écran. Jusqu’à présent inexploitées en raison de leur distance des lieux de consommation, ces réserves énergétiques trouvent donc leur emploi industriel, en alimentant les turbines des émetteurs. En attendant mieux, ce sont d’ores et déjà 95 tonnes de diesel qui sont ainsi brûlés chaque jour dans un espace jusqu’alors préservé de la plupart des pollutions courantes.

Si ce médium ionisé qu’est la couche ionosphérique assure sans défaillance ¾ au moins jusqu’à maintenant[VIII] ¾ sa fonction première de protection de la biosphère, sa potentialité technique à réfléchir les ondes électromagnétiques n’est pas, en revanche, d’une totale fiabilité ! Différents facteurs naturels, notamment les variations du rayonnement solaire, peuvent modifier momentanément la composition de la zone ionosphérique par où transitent les signaux. De telles fantaisies dans la haute atmosphère sont parfaitement intolérables et doivent donc être réprimées. C’est, de toute évidence, l’un des objets du programme HAARP. Mais on a aussi des raisons de penser que « des émetteurs HF au sol (radars ou émetteurs radio puissants) modifient aussi l’ionosphère et influencent les performances des systèmes dont les signaux traversent la zone de l’ionosphère qui a été perturbée »[IX]. En-dehors d’une conception utilitariste et militaro-marchande du monde, il n’y a évidemment aucun rapport entre ces ondes hautes fréquences émises depuis le globe terrestre et les variations du rayonnement solaire. En revanche, ces pollutions HF devraient, en toute logique, conduire à s’interroger sur le seuil de perturbation technologique qui pourrait affecter la fonction naturelle et protectrice de l’ionosphère. Mais cette question ne semble pas plus préoccuper la recherche soi-disant fondamentale que celle des effets sur la biosphère du milliard de téléphones portables aujourd’hui en fonction. En résumé, « l’intérêt de la station HAARP provient du besoin d’accroître la fiabilité d’un grand nombre de systèmes de communication, navigation et surveillance dont les signaux passent par l’ionosphère, mais aussi d’explorer des innovations technologiques qui suggèrent des applications telles que la détection d’objets souterrains, la communication à grande profondeur dans le sol ou les océans, et la génération d’émissions optiques et infrarouges »[X].

Le programme HAARP s’inscrit en fait dans une perspective plus large, que résume le concept d’Environmental Warfare, aujourd’hui central dans la littérature militaire américaine. Les projets d’intervention sur les climats, à plus ou moins grande échelle, et le fantasme de leurs applications bienfaisantes à la société civile s’y trouvent explicitement mentionnés. Une thèse soutenue en 1996 par un certain Barry B. Coble à la Faculty of the School of Advanced Airpower Studies fournit une analyse des techniques de modification climatique présentement disponibles tout en donnant un aperçu des développements prochains. La principale technique actuelle paraît relativement bénigne et a connu diverses utilisations en agriculture pour réduire notamment les dégâts causés par la grêle. Il s’agit du procédé d’ensemencement des nuages au moyen de diverses substances (iodure d’argent, chlorure de calcium entre autres) afin de retarder ou d’anticiper des précipitations, ou encore d’accroître ou réduire une couverture nuageuse. La même technique permet aussi d’agir sur le développement ou la dispersion des brouillards. Selon ce docteur ès manipulations climatiques, les perspectives futures d’opérations militaires choisissant cette stratégie devraient s’orienter dans les directions suivantes : « modifier la quantité d’énergie solaire disponible par l’introduction de matériaux destinés à absorber ou réfléchir le rayonnement solaire ; échauffer l’atmosphère par des moyens artificiels depuis la surface terrestre ; modifier le mouvement des masses d’air par des moyens artificiels ; influencer l’humidité en augmentant ou en retardant l’évaporation ; modifier les processus de formation des nuages et provoquer des précipitations en utilisant des agents chimiques »[XI]. Parmi les manipulations atmosphériques imaginables lors de futures hostilités et signalées par un autre auteur, on retiendra particulièrement celle-ci : « la destruction totale et temporaire de la couche d’ozone au-dessus d’un territoire ennemi afin de permettre à des niveaux dangereux de rayons ultraviolets d’atteindre le sol ; cette destruction pourrait être possible, selon Westling, par la libération contrôlée d’un composé de bromure depuis des satellites en orbite ». La chose paraît d’autant plus possible qu’il n’en aura pas fallu tant au capitalisme industriel pour déjà altérer gravement la dite couche d’ozone. En quoi se vérifie que l’Environmental Warfare n’a rien d’une utopie, mais trouve l’inspiration d’une bonne partie de ses moyens dans l’économie dévastatrice. D’ailleurs, dans le rapport Air Force 2025 déjà évoqué, qui est une étude commandée par l’Etat-Major de l’armée de l’Air américaine, ses auteurs font valoir que toutes ces trouvailles en manipulations climatiques trouveront en retour leur application dans le champ économique, ce qui aura, selon eux, l’avantage de lever bien des obstacles légaux dans le domaine stratégique. La recrudescence probable de catastrophes dites naturelles, associée à la pression démographique, constitue en quelque sorte le milieu idéal pour que se forme une demande économique favorable aux entreprises de modifications volontaires du climat. Dans cette perspective, la transformation de la pluie et du beau temps en marchandises profitables semble avoir, si l’on peut dire, de beaux jours devant elle. L’argument de nombreux climatologues, selon lequel le système climatique étant de nature hautement complexe et chaotique rendant parfaitement hasardeux, quant aux effets globaux, toute action humaine sur l’un ou l’autre de ses éléments, risque de ne pas peser lourd dans la balance face à une mentalité qui ne se soucie que du court terme et de ce qu’il rapporte. Qu’importent les désastres, dès lors que l’on peut vendre de pseudo-remèdes eux-mêmes porteurs de nouveaux désastres ! Lors des tempêtes qui ont balayé une partie de l’ouest de l’Europe en décembre 1999, messieurs Kessler et Jospin, respectivement vice-président du MEDEF et premier ministre de la France, n’ont pas manqué, depuis leur abri, de relever que ces aléas climatiques étaient loin d’être défavorables à la croissance du produit intérieur brut.

En tant que tel, le projet de maîtriser le climat a toute l’allure du fantasme de toute-puissance et ne risque pas de s’accomplir. Ce qui, en revanche, pourrait bien se mettre en place, c’est un nombre croissant de manipulations climatiques locales, tant à des fins civiles que militaires, et ayant toutes chances d’aggraver l’évolution d’un système déjà inconsciemment déréglé par deux siècles d’activité industrielle intensive. L’état d’esprit qui transparaît dans les études et rapports américains sur le sujet éclaire parfaitement le refus de l’actuel occupant de la Maison-Blanche de ratifier le si modeste accord de Kyoto, déjà si exorbitant aux yeux de l’administration Clinton. Pourquoi le premier des Etats voyous d’une planète qui n’en manque pas envisagerait-il de contribuer à restaurer, même modestement, un système qu’il a particulièrement contribué à détériorer, au moment où des perspectives de manipulation, tant stratégiques que lucratives, s’offrent à son projet de domination planétaire ?

MLG, Mars 2002

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[I] Luc Manpaey, Le programme HAARP, science ou désastre, Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, Website : www.grip.org.

[II] Rosalie Bertell, Background of the HAARP Project, document distribué à l’audition publique du 5 février 1998 au Parlement européen.

[III] Au sens où l’on désigne aujourd’hui les prolongements, le plus souvent néfastes et toujours lucratifs, de toutes sortes de projets et entreprises.

[IV] Rosalie Bertell, actuellement présidente de l’International Institute of Concern for Public Health (Toronto, Canada) ¾ mais dont il est bon de savoir qu’elle fut aussi conseillère scientifique du Président Carter pour les technologies de défense dans les années 1970 ¾ apporte néanmoins un nombre considérable d’informations à ce sujet. Selon son rapport, le projet militaire de substituer à l’ionosphère un bouclier artificiel, doté du même potentiel de transmission des télécommunications, mais ¾ si on peut dire ¾ libéré des fluctuations et perturbations naturelles, ce projet donc remonte à 1958. C’est l’époque où l’US Navy aurait procédé clandestinement à l’explosion de trois bombes nucléaires à une altitude ionosphérique, au dessus de l’Atlantique sud et à environ 1800 Km de la ville du Cap. Il ne s’agissait que d’évaluer les effets électromagnétiques de ce type d’explosion à très haute altitude sur les systèmes de télécommunication !… D’autres essais analogues auront lieu en 1962, suivis par ceux de l’Union soviétique. Dans sa communication, R. Bertell retrace la succession de projets déments et d’expérimentations insensées, et aussi des accidents survenus, tel celui d’avril 1986 dans le Nevada ayant entraîné de sérieuses retombées radioactives sur tout le continent nord-américain, lesquelles furent, sur le moment, attribuées à la catastrophe de Tchernobyl, survenue par un « heureux » hasard à quelques jours d’intervalle.

[V] Luc Manpaey, op. cit., page 6.

[VI] Dont les vrais bailleurs de fond sont la Navy, l’Air Force et le Département de la Défense.

[VII] En deçà de l’exploitation technique dont elle est l’objet, l’ionosphère joue un rôle fondamental de protection de la biosphère, notamment en fixant les particules chargées électriquement par les phénomènes d’intenses ionisations qui caractérisent cette zone atmosphérique. « Le rayonnement solaire frappant un atome ou une molécule est partiellement absorbé par cet atome ou molécule, mais a une énergie suffisante pour lui arracher un électron, d’où la production d’un électron libre et d’un atome chargé positivement » (Manpey, p. 12). Il en résulte, à une altitude d’environ 80 Km, une couche atmosphérique conductrice, et propice à la réflexion des ondes radio, donc à leur transmission.

[VIII] Une des questions posées par Nick Begich, l’un des représentants d’une totale opposition au projet HAARP, est celle-ci : « l’absence d’informations satisfaisantes sur des sujets aussi controversés que l’impact d’ondes à certaines fréquences sur les organismes, ou encore les conséquences potentielles d’expériences prolongées et plus agressives sur l’ionosphère, relève-t-elle d’une volonté de dissimuler, ou plutôt d’une ignorance de la réponse ? » (L. Manpey, page 44).

[IX] Ibidem, page 18.

[X] Ibidem, page 18. Parmi les applications possibles du projet HAARP, il faut aussi noter celle-ci, qui est de l’ordre de l’armement psycho-technologique, mais aussi susceptible, en cas de force majeure, de servir au contrôle des populations, de celles que, dans la littérature militaire, on désigne sous le nom d’ennemi intérieur : dans son livre qui semble avoir eu quelque écho outre-atlantique ¾ Angels don’t play this HAARP ¾ Nick Begich souligne que le type d’ondes utilisées dans le cadre de HAARP ont aussi cette vertu de provoquer dans le système cérébral la sécrétion de substances neuro-chimiques aptes à générer « un vaste arsenal de réponses et de comportements émotionnels ou intellectuels tels que des sentiments de peur, de dépression, de désir, etc. ». L’auteur se dit convaincu que cette potentialité ne peut pas ne pas être prise en compte dans le cadre d’un tel programme. On le croit d’autant mieux que la domination moderne s’est annexée, pour les situations en temps de paix, une large panoplie de manipulations émotionnelles et sensorielles.

[XI] Résumé donné par L. Manpey, op. cit., page 23.

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