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La propriété contre la possession

 

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Comme le relève très justement Guillaume Paoli sur son blog[1], de nouvelles techniques de vente ne cessent d’intensifier une domestication du client déjà acquis. Ce qui semblait être une vente n’est plus, pour finir, qu’une location, on ne peut plus acquérir qu’une coquille vide, une ombre, un fantôme[2]. Le vendeur ne vend en fait que le droit de continuer à payer une redevance, sous peine de perdre ce qu’on pensait avoir « acheté ». Cette technique commerciale prolonge et pousse jusqu’aux extrémités le calcul déjà ancien qui revenait à vendre peu cher un appareil (électro-ménager ou bureautique), mais à matraquer le client par le prix élevé des consommables, évidemment indispensables et sans lesquels l’appareil, en réalité, n’existe pas ; réduisant ainsi l’acquéreur au rang de client captif, voire de serf d’une consommation illimitée.

A partir de là, Paoli développe un certain nombre d’axes de réflexion qui sont les suivants :

  1. Tendanciellement, nous ne sommes plus des propriétaires mais des locataires, le monde devient une chambre d’hôtel, sans cesse à renouveler et sans cesse résiliable ; cette transformation accompagne le caractère de plus en plus nomade de la force de travail dans le monde, laquelle ne peut plus connaître aucun « chez soi » ;
  2. La transformation se fait en douceur, discrètement, de façon insidieuse ; quand on la découvre, il est trop tard ;
  3. Le caractère privé, personnel de la propriété se perd, les objets et données sont désormais entre les mains des propriétaires du monde ; si le locataire veut généralement posséder quelque chose, il se transforme un voleur, puisque seule la propriété par les maîtres du monde est autorisée ; tout le monde se souvient des semences autostériles, qui doivent être achetées tous les ans aux grands trusts car elles sont manipulées pour ne plus pouvoir déboucher elles-mêmes sur des plantes susceptibles de se reproduire : la reproduction naturelle est ainsi confisquée, le vivant est breveté et monopolisé, les populations n’ont droit qu’à des êtres stériles, ni morts ni vivants, mais plus morts que vivants[3] ;
  4. Cette transformation contient potentiellement une émancipation par rapport au carcan de la propriété privée (on n’est plus lié à des objets matériels particuliers), mais seulement au prix de rester dépendant de fournisseurs d’une façon hermétique, qui sont, eux, les véritables propriétaires ;
  5. Paoli conclut fort justement que le slogan des luttes à venir a de fortes chances d’être du genre : « la possession contre la propriété ».

En effet, si désormais la propriété, censée garantir pour chacun la possession d’un bien, devient une formation monopolistique à ce point concentrée, elle implique alors que de l’objet sur lequel elle porte, elle a supprimé pour tous la possibilité même d’une possession. Dès lors, la propriété, pour le commun des mortels, c’est quand on ne possède pas. En 1948, Orwell avait déjà bien défini ce type de logique.

Cette évolution paradoxale (la propriété privée se supprime elle-même pour continuer à régner) relance inéluctablement une foule de questions. L’état de propriétaire est-il indispensable à la vie ? Nos besoins nous appartiennent-ils ? Ou appartenons-nous à nos besoins ? S’agit-il de nos besoins ? Ou de ceux de la machine économique ? Pour que nos besoins soient satisfaits, faut-il posséder des marchandises ? Ou bien celles-ci demeurent-elles décevantes parce que pour finir nous avons d’autres types de besoins ou de désirs, que la propriété des objets masque et cache ?

Innombrables sont ceux qui se sont déjà posé ce genre de questions. Ce questionnement, qui ne cesse jamais vraiment, est tantôt explicite, comme en philosophie, tantôt implicite, comme dans la vie quotidienne, dans laquelle le geste le plus anodin ressemble à une réponse, mais par cela même, repose tacitement la question : tant il est vrai qu’à travers tout ce que nous faisons, nous répondons à une attente, qui généralement ne se retrouve pas dans la réponse. Le plus souvent, nous ne savons pas vraiment sur quoi porte cette attente, mais nous la sentons néanmoins ; dans des situations extrêmes, on voit que cette sensation peut aller jusqu’à la plus grave dépression. Nous sentons bien que même lorsqu’elle porte sur un objet tangible et simple, autre chose est en jeu : notre tranquillité, notre désir de reconnaissance, notre recherche d’un dialogue, notre lien au monde – pour finir, nous-mêmes, l’abolition de notre solitude. Un objet, en effet, ne vaut jamais seulement en lui-même, mais se profile comme le chaînon manquant dans un ensemble plus vaste, comme la pièce qui ne doit pas faire défaut sous peine de rompre irrémédiablement cet ensemble. Qu’est ce qui nous rapproche de la vie, qu’est ce qui nous éloigne de la mort ? Cette inquiétude nous distingue du robot. La question peut souvent être formulée de la façon suivante : qu’est-ce qu’il nous faut pour être – et qu’est-ce qu’il ne nous faut pas[4] ? Nombreux sont ceux qui n’aiment pas exprimer ouvertement ces questions, précisément parce qu’elles les taraudent. C’est le terrain sur lequel naît le fétichisme pathologique des objets, mais aussi leur usage « normal ». L’abolition de la propriété par la propriété sort ces questions de leur ancienne obscurité psychologique pour les livrer à la lumière crue que répand la nouvelle condition des déshérités.

Personne ne peut plus mettre en doute que l’accaparement monopolistique par le capital des objets et des services (et donc aussi des besoins, réels ou imaginaires, auxquels ceux-là sont censés répondre) est désormais la loi du monde. C’est le règne de ce que l’on appelle l’économie, la soumission totale du réel à la valeur. Son objectif est double : à la fois exploiter en vue d’un profit chaque occasion de produire un besoin, et de le satisfaire, aussi minime soit-elle ; d’autre part, par ce caractère hermétique, assurer une « couverture complète » de la vie sociale, éliminer tout ce qui pourrait évoquer une indépendance par rapport à l’économie ; et donc produire une identification sans faille de l’un à l’autre : de l’humain à l’économique.

Cet accaparement a une histoire, qui a commencé il y a plusieurs siècles et qui ne cesse de se poursuivre. Il est probablement plus approprié de dire que l’accaparement est cette histoire, une histoire qui suit une véritable logique sans pour autant disposer d’un parcours assuré (les humains sont là pour la faire avancer, pour l’accélérer, mais aussi pour en modifier les contours, pour l’interrompre, voire, comme on l’espère, pour un jour y mettre fin). Nous nous trouvons à un certain moment de cette histoire, probablement plutôt vers la fin, compte tenu des contradictions et des catastrophes qu’elle a commencé à engendrer.

Nous avons déjà rappelé plus haut que depuis maintenant des décennies cet accaparement a entrepris d’étendre son empire à la « propriété du vivant », autrement dit à la confiscation des mécanismes de reproduction naturels. La logique de cette évolution est extrêmement claire et simple : la propriété industrielle ne doit pas porter seulement sur l’objet d’origine ou sur l’objet final, mais sur l’intégralité de la chaîne, sur chaque moment du processus de production. La dépendance par rapport au capital doit être totale à chaque instant, aucune phase ne doit lui échapper. C’est l’aboutissement inévitable de ce que Marx avait qualifié de domination réelle (reelle Subsumtion), par opposition à une domination seulement formelle (formale Subsumption)[5] : le règne du capital devient coextensif à toute l’étendue de la réalité matérielle. L’histoire des sociétés modernes n’est rien d’autre que la progression de cette logique, et la tentative d’élimination des obstacles (matériels, scientifiques, intellectuels, politiques, sociaux, internationaux) qui lui résistent. Elle se déploie contre les fragments de réalité qui seraient encore insuffisamment soumis au mouvement de la valeur et aussi à ce qui est déjà partie intégrante du capital mais dont la soumission peut encore être intensifiée. L’histoire des sociétés modernes est logiquement condamnée à être cela, et à ne rien pouvoir être d’autre. Nous nous trouvons encore dans l’histoire (et même plus que jamais, tant celle-ci s’accélère), mais en même temps l’histoire nous est intégralement confisquée au profit de ce seul schéma directeur, dont il n’y a rien à attendre qui en vaille la peine, juste son propre aboutissement désastreux.

Cette réduction de l’histoire à l’intensification de la domination réelle du capital comporte bien évidemment une régression considérable des instances, même aliénées, qui étaient censées représenter les « communautés » humaines. Autrement dit, il ne se passe pas un jour sans que les groupes industriels et financiers prennent le pas sur les Etats, voire les communautés d’Etat[6].

La presse française relate quotidiennement les péripéties d’un exemple de cette logique: celui du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Ni les habitants ni les experts ne sont entendus, car ce projet absurde, qui est à la fois techniquement inutile, écologiquement désastreux et foncièrement antidémocratique, doit à tout prix être imposé puisque les pouvoirs publics ont passé un accord commercial avec Vinci, et qu’en cas d’abandon du projet de construction, la société privée Vinci est tout de même en droit de percevoir le montant, exorbitant, du contrat passé avec la région : le chantier est à payer même s’il n’a pas lieu, et l’intérêt privé a intégralement soumis l’intérêt public.

Un exemple bien plus effrayant encore est le projet, déjà fort avancé, mené dans une quasi-clandestinité entre les gouvernements européens et nord-américains (USA et Canada) et les représentants du grand capital, de Pacte transatlantique sur le commerce et l’investissement (PTCI). Ce Pacte, qui contourne l’OMC jugée trop pointilleuse (…), s’attaque aux droits de douanes, notamment dans l’agriculture, de façon à favoriser les produits les moins chers (donc les plus industrialisés, avec tout ce que cette notion implique), mais aussi à conférer aux grands groupes internationaux la faculté de ne plus respecter les législations nationales en matière de protection de la santé, de normes écologiques, de droit du travail (et d’assigner devant un arbitrage acquis à la cause du capital, les Etats récalcitrants, s’il s’en trouve). Fin par KO des interminables discussions sur le lait aux hormones, les poulets chlorés, le gaz de schiste, les OGM en général. Le Pacte repose sur la notion de « protection des investissements », qui signifie que rien n’a le droit de s’opposer à la soif de profit. Inutile de préciser que le dérisoire histrion « Moi, Président » figure, en bon socialiste, parmi les plus ardents propagateurs de ce cataclysme économique et social, qui doit aboutir au plus tard courant 2015[7]. Une entreprise française doit encore respecter un certain nombre de normes, mais l’entreprise étrangère s’en tapera comme de l’an quarante ; et le rachat de la première par la seconde réglera de façon exhaustive  le problème des blocages à la soif de profit: les diverses normes, barrières et conventions iront définitivement au Musée de l’Homme. Le Huffington Post rappelle fort opportunément, dans son article du 17 janvier 2014 consacré au PTCI, la célèbre citation de David Rockefeller en 1999 : « quelque chose doit remplacer les gouvernements, et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire »[8]. A travers les Etats et leur cadre légal, ce sont les populations qui sont dépossédées de leurs conditions de vie, au profit de la propriété productive [9]. De même qu’il ne doit subsister que du travail productif, il ne doit subsister que de la propriété productive.

Cette mainmise du privé sur le public, de l’économique sur le social, de la valeur sur le réel apparaît comme l’aboutissement d’une évolution fort ancienne. Dans ses Grundrisse, manuscrit inachevé dont la rédaction fut abandonnée en 1858, Marx avait basé son analyse des sociétés précapitalistes sur la distinction et sur l’antagonisme entre Eigentum et Besitz, entre propriété et possession[10]. La possession répond à une situation naturelle de correspondance objective entre un être vivant et l’objet de ses besoins, le terme d’objet ne désignant pas seulement l’objet consommable mais aussi l’environnement dans lequel cet objet consommable existe, et dans lequel le besoin peut être satisfait. Comme l’a montré l’éthologue estonien Jakob von Uexküll dans des ouvrages publiés pendant la première moitié du vingtième siècle, il est vain de tirer un trait de séparation entre l’individu vivant et le monde : l’étude de la vie animale impose de comprendre comme une unité indissociable l’individu vivant et son monde (Umwelt), i.e. ce qui dans l’environnement lui permet d’être lui-même. Marx usait d’une expression qui apparaît comme une anticipation évidente de la pensée d’Uexküll puisqu’il parlait de « corps anorganique » (anorganischer Leib) de l’être vivant. C’est à partir de l’unité vivante entre le corps organique de l’individu et son corps anorganique (ses « consommables » dans la nature) que Marx définissait la notion anthropologique de « possession » (Besitz) [11].  Par exemple le territoire des chasseurs-cueilleurs fut un tel objet, absolument indissociable des sujets vivants, qui ne pouvaient vivre sans lui et à qui par conséquent ce territoire « appartenait ». Le même raisonnement s’applique également aux anciens agriculteurs qui travaillaient le sol sur la base d’une propriété collective de la terre : l’unité vivante y fut l’individu, sa collectivité et la terre. Le sujet n’est pas en face d’un monde où se trouve son objet, mais il est lié au monde par un objet qui fait corps avec lui. L’avènement de la propriété (Engels y reviendra 26 ans plus tard, en 1884, dans son célèbre ouvrage L’origine de la famille, de la propriété et de l’Etat) représente une limitation de la possession, une abrogation de toute unité naturelle et un encadrement social limitatif des besoins, désormais conditionnés par un statut social et économique, comme une étape du mouvement historique de dépossession. L’épisode historique des enclosures en fut la parfaite illustration : les terrains communaux, qui répondaient au besoin des paysans pauvres, furent convertis de force en propriété privée sur laquelle désormais travailleraient des fermiers pour le compte du propriétaire. La conversion de possession en propriété se fait au profit d’une classe privilégiée. Les petites gens doivent se convertir en fermiers, ou quitter leur village.

Même si en apparence cela paraît paradoxal, l’abolition de la petite propriété (sa conversion en simple location, par exemple) est une nouvelle phase du renforcement de la propriété : de la propriété productive de la classe dominante. C’est une nouvelle victoire de la propriété sur la possession, mais ce sera aussi la dernière, dès lors qu’il n’y aura plus de possession à accaparer.

Cette phase ne pourra être dépassée par un retour à la petite propriété privée, mais seulement par une abolition de la propriété concentrée, et par une réalisation de la possession de chacun. A la dépossession de tous, qui est en cours, devra succéder l’expropriation de quelques uns, qui est son contraire.

 

Les Amis de Némésis

26 février 2014

 

 

Nota bene

 

Guillaume Paoli nous fait remarquer à juste titre que notre résumé de son article était encore trop généreux pour la misère ambiante, et qu’il avait dévié de son propre texte, où l’accent était mis sur la notion d’utilisateur :

« En effet, le locataire est encore (formellement du moins) possesseur du bien dont il n’a pas la propriété. J’emploie à cet effet le terme d’usage dans les transactions digitales : celui de « user », « Nutzer », en français « utilisateur ». Car ce statut exclut justement des éléments majeurs de ce qui constitue la possession. L’utilisateur est l’équivalent pour le privé de l’usager d’un service public. Si je loue une voiture, rien de m’interdit d’y faire la sieste, l’amour, d’y manger, de convoyer qui je veux. Un usager de la SNCF a une disposition bien plus restreinte de ce pour quoi il paye. De même, il est expressément interdit à l’utilisateur du « fournisseur de contenus » Amazon d’extraire, de collecter et de réutiliser les données pour l’accès auxquelles il a payé. Il s’agit donc d’une dépossession. Pour prendre un exemple agricole : le paysan moderne n’est pas un métayer de Monsanto, il peut très bien être propriétaire de son lopin de terre. Mais il n’a plus la possession de ses semences, et est donc un utilisateur de Monsanto ».

Le 27 février 2014

 

 

 


[2] Paoli utilise l’exemple des livres numériques « acquis » via Kindle, qui s’effacent sans faire de bruit lorsque leur présumé « propriétaire » met fin à son compte avec Amazon. La « bibliothèque » part en fumée.

[3] Ajoutons simplement qu’il en va de même avec la reproduction des animaux : les véritables reproducteurs restent entre les mains de grands groupes, l’animal né chez l’éleveur est limité à sa propre vie, soit pour fournir du lait, soit pour finir en boucherie ; ajoutons que le livre déjà ancien, La guerre au vivant, de Jean-Pierre Berlan,  publié en 2001, développait fort bien ces thèmes.

[4] « Qu’est-ce qu’il ne nous faut pas ? » a une double signification : « de quoi pouvons-nous nous passer », d’une part, mais aussi « que faut-il à tout prix éviter ».

[5] A l’origine, Marx avait appliqué cette conceptualisation dans le chapitre VI, inédit, du livre I du Capital pour désigner le passage du stade de la saisie indirecte de l’activité artisanale précapitaliste par les premières formes de capital marchand (capital commercial) au stade de l’intégration directe de l’activité productrice par le capital industriel.

[6] En Europe, la question est plus ou moins réglée, puisque l’Union européenne représente directement les intérêts de l’industrie, du commerce et de la finance, et traite les Etats membres comme des élèves à discipliner. De la même façon que la propriété abolit la propriété, les Etats s’abolissent eux-mêmes en s’étant prononcés pour cette ahurissante perte de pouvoir.

[7] Le PTCI apparaît comme un remake de l’AMI, négocié lui aussi secrètement entre 1995 et 1997 et finalement abandonné parce que révélé au public et y ayant rencontré une opposition massive. Quant à Hollande, il ne peut pas représenter les intérêts du peuple français face au capital puisqu’il représente au contraire le grand capital face à la population, notamment en tant que membre d’officines telles que le SIECLE et le Groupe Bilderberg: et avec le Pacte transatlantique, même les plus obtus ne peuvent plus en douter.

[8] Pour une présentation plus complète : http://www.monde-diplomatique.fr/2013/11/WALLACH/49803.

[9] Terme utilisé au sens où l’entendait Marx (après Smith et Ricardo) dans sa définition du travail productif, Théories sur la plus-value, chapitre 4, Théories sur le travail productif et improductif.

[10] Chapitre Formen, die der kapitalistischen Produktion vorhergehen, p. 375 – 413 de l’édition allemande, traduction française : Formes précapitalistes de la production. Types de propriété (Marx, Œuvres II. Economie, p. 312-359), Pléiade Gallimard.

[11] Il n’existe malheureusement qu’un seul verbe pour désigner l’appartenance, et ce verbe traduit inévitablement l’état de propriété et non celui de possession. Cette situation linguistique exprime à sa façon la disparition de l’idée même de la possession. Dans aucun domaine, on ne doit pouvoir désigner clairement de quoi il s’agit, et, par exemple, comprendre que quand deux amants sentent qu’ils s’appartiennent, ils ne s’appartiennent que tant qu’ils le ressentent, sans que l’institution puisse y changer quelque chose. Ce qui est vrai des personnes est vrai aussi des choses (et non l’inverse). La célèbre parabole biblique du jugement de Salomon exprimait fort bien l’antagonisme entre possession et propriété, raison pour laquelle elle fut reprise et retravaillée par Brecht (dans Le cercle de craie caucasien). Le sentiment d’amour (quelle que soit sa nature et quel que soit son objet) reste évidemment le témoignage humain le plus évident de la possession, et donc radicalement étranger à toute notion de propriété, à l’encontre de toute tentative de son institutionnalisation et de réduction à son contraire). Comme Engels l’a fort bien démontré, la famille, la propriété et l’Etat n’ont eu pour objet que d’imposer cette institutionnalisation et cette réduction.

 


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