Spécial Elections – La France divisée


Certains signes semblent démontrer que dans l’esprit de nos contemporains, l’affrontement commence à ne plus se situer entre la Droite et la Gauche (sans parler du Centre), mais tout à fait ailleurs. Nous en voulons pour preuves les entrefilets suivants, reflétant assez fidèlement les deux camps réels.
Commençons par les curés, qu’ils soient religieux ou qu’ils soient laïcs, qu’ils soient psychorigides ou qu’ils se donnent un air cool.
« S’abstenir de voter est un péché » (Monseigneur Ducourt, évêque de Nanterre)
Le Parisien, 6 avril 2007

« Désireux de stimuler l’esprit civique de leurs ouailles, les évêques de Lettonie les avaient invités à jeûner avant les dernières élections législatives, abstinence pour combattre l’abstention ? « Le jeûne aide les chrétiens à être en bonne forme spirituelle » et donc à prendre « la bonne décision », déclarait alors l’archevêque de Riga ».
Le Monde, 12 avril 2007

« Je m’en fous pour qui ils votent, pourvu qu’il votent ! » clama haut et fort un membre du collectif de Clichy. « L’ennemi numéro 1 c’est l’abstention ! » renchérit un autre. »
Aclefeu, sur Bondy Blog

Des tee-shirts contre l’abstention
Craignant une faible participation à la présidentielle, une jeune femme a décidé de créer des tee-shirts aux slogans appelant à une participation massive des jeunes.
Amélie GAUTIER (TF1.fr)- le 22/11/2006 – 19h32
Ca serait comme une petite manif qu’on organiserait tout seul et que l’on ferait allez, disons une fois par semaine. A l’occasion d’un verre avec des amis, de notre sacro-saint jogging dominical, de notre plein quotidien au supermarché et pourquoi pas, soyons fous, même au boulot.
Le principe de la manif serait simple, sans pancarte peinturlurée que délaverait la première averse, sans tracts à distribuer sur les marchés, ni même d’autorisation à demander à la préfecture. Assez de suspense. Le défilé consisterait à porter un tee-shirt appelant, grâce à des messages, provocateurs ou amusants les citoyens à voter.

« 21 avril, gommer l’affront » : Voilà l’idée qu’a eue Fanny Gerdil, une jeune femme de 33 ans originaire de Besançon. Redoutant une forte abstention à la prochaine élection présidentielle, elle a décidé de créer et de mettre en vente sur Internet ces vêtements (1). Cette militante socialiste « et engagée en politique depuis longtemps » y a pensé parce que, selon elle, les campagnes d’information civique à destination des jeunes sont insuffisantes et fadasses. « Et puis les grands partis politiques ne font quasiment rien pour appeler les jeunes à s’inscrire sur les listes électorales », précise la jeune femme. Pour les slogans, l’aspirant manifestant n’a que l’embarras du choix : « On a marché ensemble, on va voter ensemble », « Je ne sais pas encore pour qui mais je sais pourquoi j’irai voter », « Black Blanc Beur : électeur », « 21 avril, gommer l’affront »… Les messages ne soutiennent aucun parti. Que l’on apprécie les idées de Besancenot, celle de Bayrou ou de Taubira, tout le monde peut s’y retrouver. Sauf peut être le sympathisant de Le Pen. La principale crainte de Fanny Gerdil : que le 21 avril ne se répète. « Cette campagne présidentielle démarre trop tôt, cela risque de lasser les gens. En plus, on nous présente trop souvent un deuxième tour Sarkozy/Royal comme acquis, c’est dangereux », poursuit Fanny Gerdy. Et de craindre que de guerre lasse, les gens n’aillent pas glisser leur bulletin dans l’urne. Le site ouvre sur cette phrase que l’on mettrait sans doute en banderole de tête si la manif était collective : « La forme la plus efficace de lutte contre ceux qui véhiculent des théories racistes, antisémites ou homophobes est le vote ».
(1) Les tee-shirts sont disponibles sur le site www.comboutique.com/bulletintamarre à partir de 15 euros.
Trouvé sur : http://tf1.Ici.fr/infos/elections-2007/0,,3358510,00-tee-shirts-contre-abstention-.html

Continuons par ceux qui n’ont pas la parole mais qui cherchent des moyens pour la prendre.
« Local du PS en flammes à Avignon. Deux arrestations. A Avignon, dans la nuit de vendredi à samedi, le local de campagne de la candidate PS aux législatives, Michèle Fournier-Armand, a été détruit par les flammes. Les policiers ont presque immédiatement procédé à deux arrestations : Grégory (20 ans, originaire d’Avignon mais résidant depuis peu sur Lyon) et Damien (29 ans, originaire de l’Isle-sur-la-Sorgue). Lors de la garde à vue ils ont reconnu les faits (avoir brisé avec des barres de fer les vitrines puis avoir jeté trois cocktails Molotov à l’intérieur) et auraient indiqué ne faire parti d’aucun parti politique, mais que « c’est au nom de leurs convictions » et « contre la représentation politique en général » qu’ils ont agi. La police a procédé à des perquisitions à leur domicile et découvert « de la documentation et de la littérature d’extrême-gauche ». Entendus dimanche par le procureur de la République, ils ont été mis en examen pour « dégradation par incendie ou moyen dangereux pour les personnes » puis placés en détention provisoire au Centre pénitentiaire du Pontet (ils risquent au maximum dix ans de prison ferme). Localement, PS, PC, PT et UMP ont fermement dénoncé cet « acte lâche et détestable ». Un acte « qui ne respecte ni la loi, ni la démocratie » selon Catherine Trautmann (de passage). Marie-Josée Roig, maire UMP d’Avignon, a déclaré : « c’est un acte aveugle et tous les politiques ne peuvent être que solidaires de Mme Fournier-Armand ». Il semble que depuis le 23 janvier ce ne sont pas moins de 24 permanences électorales (principalement en région parisienne) qui ont été la cible d’attaques diverses (18 UMP, 2 PS, 2 PCF, et une des Verts). Informations et citations tirées de la presse quotidienne locale du 1er au 3 avril (La Provence, Le Vaucluse Matin, La Marseillaise).
(Paru sur le site Internet d’Indymedia, Marseille)

« La permanence UMP de Nogent-sur-Marne, déjà dégradée en novembre, a été ravagée par un incendie vraisemblablement criminel, dans la nuit de lundi à mardi. Du matériel de campagne et des ordinateurs ont été détruits. […] Dans un communiqué, le maire UMP de Nogent-sur-Marne, Jacques J. P. Martin a évoqué la possibilité que l’incendie « ait été déclenché par le jet de cocktails Molotov contre la façade » d’après des bruits entendus par « des riverains ». « L’ensemble du matériel de campagne, ainsi que les ordinateurs, les fichiers, ont été détruits », a précisé le maire, en dénonçant un « acte d’une violence irresponsable » qui « bafoue les règles de la démocratie ». La campagne électorale « doit rester un débat d’idées et non des affrontements criminels », a-t-il ajouté. Lundi, un incendie similaire avait ravagé le siège du PS des Hauts-de-Seine. Ces dernières semaines, des actes de vandalisme ont visé plusieurs permanences UMP à Paris ou en banlieue. La permanence UMP de Nogent-sur- Marne avait été forcée et dégradée en novembre. »
Le Nouvel Observateur sur Internet, le 27 mars 2007

« La permanence électorale du ministre des PME et candidat déclaré à la mairie de Reims en 2008, Renaud Dutreil, a subi des dégradations dans la nuit de samedi à dimanche, a indiqué mardi le ministre qui a porté plainte. « Nous avons déposé plainte contre X pour dégradation volontaire. La police est venue faire les constats : projection d’œufs, graffitis anti-droite et une affichette d’Arlette Laguiller collée sur la vitrine », a indiqué un conseiller du ministre, Philippe Malpezzi. Interrogé sur l’affichette de la candidate de Lutte ouvrière à la présidentielle, il a indiqué n’exclure « aucune manipulation ». « En tout cas, c’est politique. Ça peut venir de partout. », a- t-il ajouté, estimant le coût des dégâts à 4.000 euros. La permanence de Renaud Dutreil, située juste à côté de la cathédrale, avait déjà été taguée lors de manifestations anti-CPE en mars-avril 2006, de même que celle d’autres députés (Francis Falala et Jean-Claude Thomas). »
20Minutes.fr, éditions du 03 avril 2007

Pour ceux que le sujet intéresse, mentionnons un petit ouvrage, récemment publié, qui pourrait être de quelque utilité (bien sûr purement théorique) :
Précis d’anti-électoralisme élémentaire
120 motifs de ne pas aller voter
Edition Les Nuits Rouges, 2007

Il faut parfois un certain temps, dont on peut déplorer combien il se prolonge, pour que devienne conscient ce qui s’était pourtant clairement et explicitement manifesté dès l’aube de notre époque : une privation de liberté qui apparut dans l’histoire comme le programme même de ce qu’on a appelé le monde bourgeois, qui se cachait derrière un roi, et qui est à présent devenu une sorte d’intégrisme capitaliste, qui se cache derrière le marché :
«Les démocraties contemporaines sont issues d’une forme de gouvernement que ses fondateurs opposaient à la démocratie. […] Ces institutions n’ont nullement été perçues, à leurs débuts, comme une variété de la démocratie ou une forme de gouvernement par le peuple. Rousseau condamnait la représentation politique par des formules péremptoires qui sont demeurées célèbres. Il dépeignait le régime anglais du XVIIIe siècle comme une forme de servitude ponctuée par de brefs instants de liberté. Rousseau voyait une immense distance entre un peuple libre se donnant à lui-même sa loi et un peuple élisant des représentants pour faire la loi à sa place. Mais il faut noter que les partisans de la représentation, même s’ils faisaient un choix opposé à celui de Rousseau, apercevaient également une différence fondamentale entre la démocratie et le régime qu’ils défendaient, régime qu’ils nommaient « gouvernement représentatif » ou encore « république ». […] Dans de telles sociétés commerçantes, remarquait Sieyès, les citoyens n’ont plus le loisir nécessaire pour s’occuper constamment des affaires publiques, ils doivent donc, par l’élection, confier le gouvernement à des individus consacrant tout leur temps à cette tâche. Sieyès voyait avant tout la représentation comme l’application à l’ordre politique du principe de la division du travail. […] Un gouvernement organisé selon les principes représentatifs était donc considéré, à la fin du XVIIIe siècle, comme radicalement différent de la démocratie alors qu’il passe aujourd’hui pour une de ses formes. […] Les institutions représentatives sont dans doute plus étranges que leur appartenance à notre environnement habituel ne nous inclinerait à le croire. […] Le gouvernement représentatif n’accorde aucun rôle institutionnel au peuple assemblé. C’est par là qu’il se distingue le plus visiblement de la démocratie des cités antiques. […] L’histoire montre, on l’a déjà noté, que l’impossibilité pratique d’assembler le peuple n’était pas la considération essentielle qui motivait certains fondateurs des institutions représentatives, comme Madison ou Sieyès. […] L’expression du consentement par l’élection avait déjà fait ses preuves comme une technique efficace d’engendrement de l’obligation. La convocation de représentants élus, en vue de créer dans la population un sentiment d’obligation, en particulier vis-à-vis de l’impôt, avait été employée avec succès depuis plusieurs siècles. Les « assemblées d’états », les « états généraux » du Moyen Âge (et de la période moderne) reposaient sur ce principe. […] Le fait est que le parlement anglais d’après les révolutions de 1642 et 1689 était aussi l’héritier du parlement de « l’ancienne constitution », et il était perçu comme tel. Les colonies américaines, elles aussi, avaient l’expérience d’assemblées représentatives élues, et le mot d’ordre central de la révolution de 1776 (« no taxation without representation ») atteste la permanence de l’ancienne croyance que la convocation de représentants élus était le seul moyen légitime d’obliger à l’impôt. En France, la rupture fut plus brutale sans doute, mais il reste que c’est la crise financière qui conduisit la monarchie à convoquer les états généraux élus et à ressusciter ainsi une pratique dont on connaissait l’efficacité pour engendrer le sentiment d’obligation. De solides raisons conduisent à penser, en tout cas, que les techniques électorales employées par les gouvernements représentatifs trouvent leur origine dans les élections médiévales, celles des assemblées d’états comme celles que pratiquait l’Eglise (plutôt que dans les élections de la république romaine, par exemple. […] Leurs électeurs se considèrent liés par leurs décisions quelles qu’elles puissent être. L’intervention de la volonté et du consentement des gouvernés dans la sélection des délégués conférait aux résolutions des assemblées représentatives une force obligatoire que n’auraient pas eue les vÅ“ux d’une instance désignée par le sort. Après que les délégués avaient consenti à quelque mesure ou à quelque impôt, le roi, le pape ou l’empereur pouvaient se tourner vers la population et dire : « Vous avez consenti hier à ce que les représentants parlent à votre place, il faut obéir aujourd’hui à ce qu’ils ont eux-mêmes consenti. » Il y avait dans l’élection comme une promesse d’obéissance. »

Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif(passim).

Ainsi, une partie croissante de la population française éprouve un désenchantement très appuyé relativement au spectacle « politique », et même ceux qui votent encore le font, de leur propre aveu, comme le veau qu’on mène à l’abattoir. Cette lucidité, irréfutablement produite par le néant de partis politiques dont l’impuissance ne leur autorise même plus une apparence de « programme », ne se contente plus d’apparaître dans le médiocre taux de votants mais s’exprime de plus en plus dans des actes comme ceux qui sont cités ci-dessus, sous une forme concrètement constatable ; c’est ainsi que s’annonce la fin des fausses questions, et, peut-être, le commencement des vraies : comment le peuple peut-il prendre le pouvoir, et le conserver. Sur ce terrain plutôt vierge, aucune des personnes actuellement en vie n’a rassemblé elle-même la moindre expérience réelle, même s’il est vrai que les émeutes et les grèves peuvent porter en elles de quoi se rapprocher de cela (à noter une position plutôt optimiste sur le sujet, manifestée avec des arguments qu’il convient de prendre au sérieux, dans l’ouvrage d’un Comité invisible, L’insurrection qui vient, La fabrique éditions, 2007).

De cette période électorale, qui s’achèvera bientôt, comme une sorte de frénésie momentanée du vide, nous ne retiendrons donc que quelques bribes imagières, car un tel vide ne mérite que des images.
Par exemple la plaque commémorative suivante, affichée sur un établissement scolaire public, qui nous est parvenue, et qui évoque un certain nombre d’entreprises policières mises en œuvre à point nommé :
Et pour finir quelques documents photographiques tout récents, qui pourraient illustrer l’avant et l’après de ces élections (nous ne saurions cependant affirmer si l’ordre dans lequel ils se présentent est réellement le bon : l’avant pourrait aussi bien être l’après, puisque l’après lui-même existe déjà avant).

LA FRANCE D’AVANT / LA FRANCE D’APRES

Que rien, dans cette élection présidentielle, ne se montre digne d’être retenu pour l’histoire, dont les dirigeants politiques espèrent vivement qu’elle soit terminée, se montre dans le ridicule consommé avec lequel l’histoire sert simplement de matière première à
détournement : quand on entend Sarkozy se réclamer de Jaurès, ou quand on voit Royal relooker son image pour se rapprocher de Louise Michel – il fallait quand même oser !

Enfin, contrairement à ce que laissent entendre des protestations qui se veulent plus ou moins féministes mais qui ne servent finalement qu’à défendre l’illusion électoraliste, c’est une marque de sous-vêtements féminins qui aura apporté aux tergiversations sans fin liées à l’impossible choix d’un candidat un contraste parfaitement convaincant, montrant qu’il subsiste encore quelques certitudes immédiates, même si elles sont trop rares :
Très involontairement sans doute, le publiciste auteur de cette affiche aura exprimé à la manière d’un utopiste que la décision politique pourrait posséder une dimension dépourvue d’ambiguïté, d’hésitation, d’intérêts cachés et de faux-fuyants ; et à partir de cela, il est aisé d’inférer que cette dimension claire et entraînante à laquelle l’affiche publicitaire fait allusion, absente des systèmes de représentation qui nous contiennent et qui n’expriment que la volonté des lobbies économiques, mais consubstantielle d’une démocratie directe où la discussion, la décision et l’action se seraient substituées à toute « représentation » trompeuse, rendrait possible ce qui mériterait, enfin, de s’appeler une vie politique. Voilà en quoi, dans une époque où le vrai n’est plus qu’un moment du faux, des sous- vêtements peuvent se montrer plus éloquents, et plus véridiques, qu’un discours d’énarque.

Les Amis de Némésis
15 avril 2007

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